Le butô et ses fantômes

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Le butô et ses fantômes

Le 30 Avr 1985
Article publié pour le numéro
Le butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives ThéâtralesLe butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives Théâtrales
22 – 23
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Nous remercions les interprètes qui ont permis et parfois prolongé ces entretiens :
Don Kenny (Gunji Masakatsu), Matsumoto Koshiro (Suzuki Tadashi), Yamagishi Hiroya (Nagao Kazuo), Shiraishi Midori (Oosuka /samu et Murobushi Kô) et Ogata Atsushi (Amagatsu Ushio), et Morita Selichi et Kondon-San pour leur aide à la réalisation de ce dossier.

« S’in­ter­roger sur les racines japon­ais­es du butô équiv­aut, pour moi, à un dou­ble non-sens : c’est un art con­tem­po­rain d’a­vant-garde, non une tra­di­tion ; c’est un art uni­versel, non un folk­lore. La meilleure approche en est la saisie directe, sans chercher à savoir pour mieux com­pren­dre : il n’im­porte que de le percevoir, tel quel. »

Ogi­no Suichi­ro

Nous n’avons pas l’am­bi­tion per­verse de dé-créer le butô sur la table de dis­sec­tion, de le « banalyser » — comme fait inno­cem­ment le touriste de ces fleurs japon­ais­es qu’il est là-bas aus­si incon­gru de humer (c’est déjà décor­ti­quer une impres­sion, arracher les pétales d’un par­fum à mesure qu’on les compte) qu’il le serait en Europe de les manger !

Mal­gré quoi le butô a bel et bien un par­fum, une tige poussée sur une branche don­née de la cul­ture japon­aise, et des racines, surtout des racines ! Or à saisir le butô comme on nous enjoint de le faire, « ici et main­tenant », ce ne sera évidem­ment jamais le même IcI que le sien et notre main­tenant n’est pas celui que le Japon se pré­pare depuis ses orig­ines : même Ogi­no (dont l’avis n’est d’ailleurs pas tout d’une pièce sinon, nous aurait-il aides tout au long de cette « fila­ture. qui n’au­rait pu se faire sans lui ?), même lui fini­ra par con­venir, a l’en­con­tre de toute la men­tal­ité japon­aise aujour­d’hui encore, qu’un art qui se veut actuel ne peut se con­tenter d’être sim­ple­ment con­tem­po­rain et que, tout cos­mopo­lite qu’il soit dans son inspi­ra­tion, le butô ne devien­dra pas uni­versel en reléguant ses publics étrangers au dernier rang du parterre, loin der­rière ses com­pa­tri­otes que toute leur sen­si­bilite, et leur cul­ture acces­soire­ment, pré­par­ent à en saisir les indé­ni­ables finess­es, à en subir surtout, dans son reten­tisse­ment sans âge, le cri effroy­able ou poignant.

Com­plic­ité évidem­ment irrem­placa­ble : c’est il y a un demi-siè­cle qu’il fal­lait vis­iter

Guer­ni­ca pour trem­bler aujourd hui avec Picas­so. Mal­gré quoi il est sans doute cer­taines « péri­odes bleues », voire cer­taines « guer­res d’Es­pagne », dont il est bon de savoir qu’elles existèrent avant d’en­tr­er dans le vif du sujet — même si de fait tout n’est pas là et si un Belge ou un Japon­ais peut espér­er devin­er Picas­so mieux que ne s’en sou­vien­dra le rescapé de Guer­ni­ca.

Qu’il ne soit pas ques­tion ici de dire le buto, de le traduire ni même d’ex­pli­quer en quelle langue il con­vient de l’en­ten­dre. Mais tant qu’à l’é­couter depuis quelque région loin­taine de l’e­space-temps, autant savoir en quelle direc­tion ten­dre l’an­tenne et sur quelles longueurs d’onde atten­dre qu’il nous par­le…

Si demain est déjà le fruit dans aujour­d’hui, aujour­d’hui est la bogue où vit encore hier.

A Gun­ji Masakat­su, au Théâtre nation­al de Tokyo (ou en un tem­ple zen et en un temps très reculé), nous avons posé de toutes nos ques­tions les plus vaines et les plus folles de l’e­spoir de devin­er. Colles ou koans, et les répons­es n’é­taient pas moins énig­ma­tiques. Mais tout le reste de notre dossier était là pour nous con­va­in­cre qu’elles n’é­taient ni gra­tu­ites, ni hors-de-pro­pos. Une ini­ti­a­tion au masque, au geste, au temps et à l’e­space de l’art. Fon­da­men­tale­ment autres, jamais arbi­traire­ment, (pages 8, 11, 14 )

Un archi­tecte au ras du sol (Isoza­ki Ara­ta, page 16), un sémi­oti­cien depuis la fron­tière (Yam­aguchi Masao, page 20), un extra-ter­restre depuis Sat­urne (page 25) obser­vent cet espace, pro­fane ou sacre, si autrement fait que le nôtre : espace où donc le geste, où donc l’imag­i­naire, où donc le regard — et par­fois mème l’œil écoute…

Rien n’est grand sans l’hu­mour de se savoir petit. Petites caus­es, grands effets, « pour faire rire un Japon­ais, par­lez-lui de sexe » nous a con­fié Don Ken­ny (page 30), lui-même comique japon­ais. C’est bien moins une boutade qu’un retour en scène du sacré !
Ain­si entre l’ac­teur, ce pro­tée : son cos­tume ne pou­vait être que celui d’Ar­le­quin (page 33) et la parole qu’on lui préte (Georges Banu, page 35) ne pou­vait être que « frag­ments d’un dis­cours ».

Si hier est encore le noy­au d’au­jour­d’hui, aujour­d’hui est la bogue où múri­ra demain. Demain, Don­ald Ritchie l’a vu mûrir depuis vingt ans dans les théâtres de Tokyo (page 53) : un tour d’hori­zon à l’heure du soleil lev­ant. Oida Yoshio, lui, a opté depuis quinze ans pour le couchant — mais, com­ment dire, le soleil l’a suivi tout du long (page 58). Suzu­ki Tadashi, enfin, n’a pas opte : tragédie grecque, moder­nité, ter­roir, il a tout pris, tout emmené jusqu’au cœur des mon­tagnes. Il y a bon pied, bon œil. (page 60)
Et puisqu’il faut bien en venir un jour au butó, sachez : qu’il ne se définit pas, mais qu’il peut étre racon­té — par Ogi­no Suichi­ro (page 67); qu’il ne s’in­vente pas, mais qu’il fut créé — par Hijika­ta Tat­su­mi (Goda Nario, page 73); qu’il ne se décrit pas, mais qu’il peut etre evoque — par Kobayashi Masayoshi (page 76): enfin qu’il ne se sou­vient pas, mais que sou­vent il rêve un rève de jadis (Nagao Kazuo, page 71).

Il par­le, aus­si, mais curieuse­ment à rebours au fil de notre temps. La troupe Byakkosha ne nous a pas encore vis­ités, mais Oosu­ka Isamu, son choré­graphe, vit deja/encore au cœur de la pre­his­toire, (page 79)

Tana­ka Min nous a vis­ités récem­ment : danseur errant, nous l’avons retrou­vé — mais cetait jadis, au temps des fan­tômes et des paysans foulant la glebe. (page 83)

Ari­adone, moins récem­ment, a aus­si fait l’Eu­rope ; pour­tant son choré­graphe, Murobushi Kô, nous a accueil­lis en son antre de sor­ci­er des mon­tagnes, par­lant comme un très vieux gri­moire. (page 87)

Sankaï Juku ini­tia l’Eu­rope à la danse butô, il y a une éter­nité déjà nous sem­blait-il. Des qua­tre danseurs, Ama­gat­su Ushio n’en est pas moins le plus rétif à quit­ter le présent — il est vrai que son quo­ti­di­en est aus­si un eter­nel ! (page 89)

Le butô, décidé­ment, entre­tient d’é­tranges rap­ports avec le temps. Oono Kazuo, un jour. l’a inven­té — mais nul ne sait vrai­ment quand ! Le mot de la fin lui reve­nait. (page 90)

Plutôt que de tran­scrire laborieuse­ment les ter­mes japon­ais selon les usages de pronon­ci­a­tion du français, nous avons opté partout pour la tran­scrip­tion roma­ji en usage au Japon, qui ne présente pas de dif­fi­culté par­ti­c­ulière si l’on tient compte des remar­ques suiv­antes :

  • e se prononce é (yose rime avec assez) sauf devant n où il se prononce è bref (kyô­gen rime avec antenne);
  • o et ô sont ouverts (comme dans pot et port):
  • u et û se pronon­cent ou (comme dans trou et troue):
  • les voyelles ne for­ment pas diph­tongue (nagau­ta se prononce naga-outa et shin rime avec Chine):
  • g, h et s sont tou­jours durs ;
  • j et z se pronon­cent di et dz ; sh et ch se pronon­cent ch et tch ; la dif­férence est peu mar­quée entre fet h, inex­is­tante entre b et v ain­si qu’en­tre l et r (roulé et doux mais palatal et non gut­tur­al).

Con­for­mé­ment à l’usage japon­ais et par fidél­ité au rythme pro­pre de la langue, nous avons don­né les noms de per­son­nes dans l’or­dre : nom de famille, prénom. Afin d’éviter toute con­fu­sion, cet usage a été suivi pour tous les noms japon­ais, y com­pris ceux déjà fam­i­liers du pub­lic occi­den­tal dans un ordre dif­férent : Tana­ka (nom) Min (prénom), Oono (nom) Kazuo (prénom), etc.

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