Au-delà de la scène, au-delà de l’écran

Théâtre
Portrait

Au-delà de la scène, au-delà de l’écran

Le 28 Avr 2009
François Marthouret et Valérie Kaprisky dans FACES mise en scène Daniel Benoin, Théâtre National de Nice, 2007. Photo Fraicher Matthey, agence Paradoxe.
François Marthouret et Valérie Kaprisky dans FACES mise en scène Daniel Benoin, Théâtre National de Nice, 2007. Photo Fraicher Matthey, agence Paradoxe.

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François Marthouret et Valérie Kaprisky dans FACES mise en scène Daniel Benoin, Théâtre National de Nice, 2007. Photo Fraicher Matthey, agence Paradoxe.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

Après  Fes­ten  de Vin­ten­berg Daniel Benoin a trans­posé “Faces” de Cas­savettes au théâtre en dila­tant l’espace et le jeu.

Beau­coup des met­teurs en scène apparus dans la tur­bu­lence des années 70 ont plus été for­més par le ciné­ma que par le théâtre lui-même. D’où une volon­té de faire non pas « du ciné­ma au théâtre », comme a pu l’exprimer avec une naïveté touchante un Robert Hos­sein, mais d’apporter par les lumières une sorte de grain d’image filmique et par la sou­p­lesse du réc­it une flu­id­ité de l’action. Ce qu’on peut dire d’un Las­salle, d’un Lavau­dant, d’un Gildas Bour­det, peut-on le dire de Daniel Benoin ? Pas exacte­ment puisque, dès ses débuts, le futur directeur de la Comédie de Saint-Eti­enne, choisit d’affronter pri­or­i­taire­ment de grands textes clas­siques et con­tem­po­rains. Mais, mal­gré tout, il a pour­suivi, au sec­ond plan, une com­plic­ité avec le lan­gage du ciné­ma et de l’image. Il a réal­isé même un long métrage, Bal per­du, et des trans­po­si­tions télévi­suelles. Il par­ticipe, comme acteur, à cer­tains films. Il signe lui-même les lumières de ses spec­ta­cles, pour leur don­ner sa pro­pre esthé­tique. Il intè­gre la vidéo avec plaisir. Il monte des auteurs qui ont écrit pour le sep­tième art (Stephen King revu par Simon Moore, Jer­ry Stern­er) ou bien prend le risque de mon­ter (et de jouer) une pièce qui n’était con­nue que pour son adap­ta­tion à l’écran par Roman Polan­s­ki, La Jeune Fille et la Mort d’Ariel Dorf­man.

Alors que d’autres n’hésitent pas à trans­pos­er des scripts (Jean-Louis Mar­tinel­li est l’un des précurseurs du mou­ve­ment puisqu’il porte à la scène La Maman et la Putain de Jean Eustache en 1990 et L’Année des treize lunes de Fass­binder en 1995), Benoin a sem­blé atten­dre pour franchir le pas véri­ta­ble­ment, pour faire d’une matière filmique une matière théâ­trale. En 2003, il se décide à cette tra­ver­sée des fron­tières et monte Fes­ten de Thomas Vin­ter­berg et  Mogens Rukov, avec une grande dis­tri­b­u­tion qui com­prend notam­ment Frédéric de Gold­fiem, Sophie Duez, Jean-Pierre Cas­sel. Il a fait lui-même la ver­sion scénique de la tra­duc­tion et il change com­plète­ment le lieu théâ­tral. On sait que cette « fête de famille » est une vio­lente tragédie accusatrice où, prof­i­tant de la récep­tion don­née pour le soix­an­tième anniver­saire de son père, le fils accuse publique­ment son géni­teur de l’avoir autre­fois vio­lé. La fête et la famille explosent, les affron­te­ments se mul­ti­plient, jusqu’à l’acceptation douloureuse de la vérité et la pro­gres­sive mise à l’écart du père crim­inel. 

Dans le film danois, tourné en 1998, l’action se déroule dans les divers lieux de la mai­son. Le réal­isa­teur suit les dif­férents per­son­nages, les cou­ples, les clans, d’un salon à une cham­bre, d’un couloir au jardin. Ce sont les débuts de la « dog­ma », cette école scan­di­nave qui revient à une caméra sou­vent portée à bout de bras et qui, à la manière de la « nou­velle vague » française, casse les codes de tour­nage et de nar­ra­tion. Benoin recon­stru­it le drame en fonc­tion d’un lieu unique et noue tous les con­flits autour d’une vaste table. Les acteurs y sont assis, mélangés à quelques spec­ta­teurs qui ont le priv­ilège d’être impliqués dans une tur­bu­lence inin­ter­rompue. Ou bien ils se lèvent et vont les uns vers les autres. C’est, depuis les Atrides, l’un des pires et des plus fasci­nants repas qui aient jamais été représen­tés dans un théâtre ! Dans le rôle du fils, Frédéric de Godl­fiem – une vraie révéla­tion, cette année-là – assène en com­bat­tant inflex­i­ble ses ter­ri­bles vérités. Jean-Pierre Cas­sel et Sophie Duez, inter­prètes des par­ents, se bat­tent et se débat­tent en cette longue mise à mort sans cadavre. 

Le pub­lic suit le spec­ta­cle depuis des gradins placés en angle autour de la table. On peut voir les acteurs de face ou sur le côté cour. Il n’y a plus de salle de théâtre. Comme la famille Klin­gen­feldt, elle a explosé ! C’est plutôt un immense espace où il n’y a plus de scène et de salle. Les lumières cer­nent la table et les pro­tag­o­nistes, le pub­lic se retrou­ve le témoin, le voyeur d’un drame théâ­tral certes mais qui pro­duit un autre sen­ti­ment – celui de l’effraction, l’impression d’être là où on ne devrait pas être et où l’on est mal­gré tout heureux de par­ticiper à un grand moment de furie purifi­ca­trice. De même que la caméra de la « dog­ma » vole la vie, le spec­ta­teur vole le spec­ta­cle, l’attrape au vol, crée avec la pièce une com­plexe rela­tion de sur­prise, de prox­im­ité, de plaisir et d’effroi. 

En 2007, Daniel Benoin monte un autre script, Faces de John Cas­savettes. Pourquoi ce scé­nario ? Ce n’est pas parce que sa mise en scène de Fes­ten a été un suc­cès mais, sans doute, parce que, cette fois, le défi, qui paraît être le même (le pas­sage de la séquence filmique à la scène théâ­trale), est en réal­ité dif­férent. Très dif­férent. Il faut inven­ter autre chose, et c’est ce qui motive et stim­ule le directeur du Théâtre nation­al de Nice. Dans le film améri­cain de 1968, Benoin voit une par­en­té avec la manière de Vin­ten­berg. « Comme chez les cinéastes de Dog­ma vingt-cinq ans plus tard, la caméra de Cas­savettes traque chaque vis­age, chaque émo­tion comme pour vol­er aux acteurs ce qui est le plus intime, déclare Benoin.  Le réal­isa­teur dis­ait : « c’est un film que j’ai aimé faire parce que j’aime voir les choses se faire… On retrou­ve dans ce film tout ce qui va mar­quer les films suiv­ants : le car­ac­tère indi­vidu­el des per­son­nages avec toutes leurs con­tra­dic­tions, la men­ace que représen­tent les con­ven­tions ain­si que l’expression totale de la per­son­nal­ité. Retrou­ver tout cela au théâtre est une per­spec­tive pas­sion­nante. » 

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Daniel Benoin
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Gilles Costaz
Gilles Costaz est journaliste. Il collabore à Paris-Match, Politis, L\'Avant-Scène Théâtre, à l\'émission Le Masque...Plus d'info
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