EN 1990 – 91 Daniela Nicolò et Enrico Casagrande montent à Rimini leur premier spectacle, STATI D’ASSEDIO ( L’ÉTAT DE SIÈGE ) inspiré du texte homonyme d’Albert Camus. Près de vingt ans et quarante pièces plus tard, la compagnie Motus est devenue une valeur sûre du paysage théâtral italien. Leur théâtre, fortement cinématographique, obstinément lucide et soucieux du monde actuel, est ancré dans le présent. En 2004, ils montent L’OSPITE, tiré du roman et du film THÉORÈME de Pasolini, dont le critique Goffredo Fofi écrira : « quelle grande sensibilité et intelligence qu’a Motus dans le respect et dans la mise à distance, en d’autres termes, comme on le disait autrefois, dans la « lecture critique…»
En 2006, ils créent RUMORE ROSA, inspiré du film LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT, de Rainer Maria Fassbinder : « Nous avions décidé de mettre
en scène un vrai mélo fassbinderien, d’en faire un quasi remake, en construisant un intérieur avec moquette blanche et canapés élégants… le tout vu de l’extérieur, des fenêtres de la maison de Petra, donc une sorte de boîte filtrée au moyen de fenêtres et de persiennes, à travers laquelle on aurait pu épier tout en maintenant à distance l’histoire déchirante de la fin d’un amour et de la libération de Marlène… Pour des raisons de droits d’auteurs et de Pouvoir ( avec un P majuscule ) on nous a interdit de mettre le texte en scène… Colère, puis résignation. Cette interdiction, bien qu’absurde, a été libératrice parce qu’elle nous a poussés à déplacer immédiatement la perspective, ou, mieux, le cadrage. Du reste, nous sommes convaincus que Fassbinder aurait préféré les trahisons aux célébrations. ( … )
Nous avons décidé de graver sur vinyle certains dialogues des LARMES AMÈRES, comme mémoire tampon d’un texte qui n’existe plus, qui survit uniquement dans les souvenirs de Marlène. Nous y avons aussi enregistré d’autres sonorités : bruits de pas, coups de téléphone, bruits de ville. Tout ce qui était gravé sur le vinyle devenait automatiquement objet, ou, mieux, simulacre de quelque chose fondé essentiellement sur un manque. Sur un vide. Et au bord de ce vide nous avons avancé. » (Extraits de la présentation du projet sur le site Internet de la compagnie, www.motusonline.com).
Avez-vous un rapport personnel avec les films dont vous choisissez le scénario comme point de départ pour un de vos spectacles ? Ont-ils une relation avec une époque ou un événement de votre vie ?
Si nous décidons « d’utiliser » un film comme scénario, paysage sonore et référence dramaturgique, ce n’est jamais par hasard ou pour une question purement esthétique… Dans le cas de L’OSPITE, cela s’inscrivait dans le contexte d’un projet plus vaste dédié à Pasolini, et en particulier à « ce Pasolini » qui décide de s’occuper de la « bourgeoisie », des contradictions et des maladies inhérentes à la classe dominantes, à ceux qui ont « toujours possédé»… Comme c’est un projet de fond centré sur les rapports de pouvoirs, nous avons choisi de travailler autant sur THÉORÈME, le film et le roman, que sur PÉTROLIO, la dernière œuvre inachevée, puisque ces deux productions ont comme élément central le thème du passage de « la possession » à « l’être possédé », le thème de l’abandon des règles morales et bourgeoises pour pénétrer dans une dimension plus primitive et radicale, l’archaïsme du désert pour le père, la campagne des traditions paysannes pour la servante… Le choix du film est aussi inévitablement lié à des intérêts et des passions artistiques envers certains auteurs par rapport à d’autres, donc au-delà de Pasolini nous nous sommes rapporté, par exemple, à SNAKE EYES d’Abel Ferrara, à MY OWN PRIVATE IDAHO de Gus van Sant et aux premiers films de Won Kar Wai… auteurs que nous apprécions tout particulièrement pour la caractéristique stylistique et les thématiques rencontrées qui, dans ces cas-là, coïncidaient avec celles affrontées dans nos spectacles.
Avez-vous vu ces films plusieurs fois ? Les revoyez-vous ? Comment vous procurez-vous le « texte » du scénario ? Faites-vous un travail de transcription particulier, ou d’adaptation de ce texte à la scène ?
Il est inévitable de voir et revoir le film, de l’analyser et de le sectionner mais généralement le travail que nous faisons est plutôt transposé sur le versant de l’audio. Le « bruit de fond du film » nous intéresse ou certains dialogues qui, décontextualisés, créent un autre niveau dramaturgique dans nos spectacles.