LORSQUE LE Dr Pino Donghi de la Fondation Sigma Tau de Rome m’a demandé d’écrire le script d’une pièce de théâtre intégrant des concepts scientifiques, j’ai d’abord cru qu’il plaisantait. En 1999, dans le cadre du Festival de Spoleto, j’avais organisé et présidé un débat sur les différentes manières de diffuser la science auprès du grand public. Cela m’avait mis en contact avec Sergio Escobar du Piccolo Teatro de Milan et avait alimenté des conversations entre Pino Donghi et Luca Ronconi, un des metteurs en scène les plus célèbres d’Italie récemment devenu directeur de création du Piccolo. Ronconi était impatient d’explorer de nouvelles voies et d’utiliser des concepts scientifiques au théâtre tandis que la Fondation Sigma Tau était ravie à l’idée d’introduire des moyens innovants pour présenter la science au public. Plusieurs pièces de théâtre modernes à succès, basées sur la vie et la psychologie de scientifiques, comme COPENHAGUE de Michael Frayn ou LA VIE DE GALILÉE de Bertolt Brecht, avait déjà été consacrées à la science mais de manière superficielle seulement. Même si ce sont des pièces de théâtre captivantes, les concepts scientifiques n’y jouent pas un rôle essentiel.
Je partageais les objectifs de Ronconi. Je ne voulais pas créer une pièce de théâtre concernant les hommes et leur psychologie ni adopter un style didactique de « science-en-fiction » au théâtre comme d’autres scientifiques l’ont brillamment fait avant moi. Ce créneau était déjà pris. Le défi était bien assez grand en lui-même, pourtant je devais garder à l’esprit que ce j’allais écrire en anglais serait traduit en italien, par Bruna Tortorella, puis interprété par des Italiens pour des Italiens. Il n’y avait donc pas de place pour une comédie de mœurs britannique.
L’infini est un concept abstrait presque unique, ce qui en faisait un sujet immédiatement attrayant. Malgré ses liens avec de nombreuses questions complexes et paradoxales à portée mathématique, philosophique ou théologique, le concept nous est à tous étrangement familier. Toute personne croisée dans la rue ou dans un fauteuil de théâtre peut se représenter cette notion. C’est le versant acceptable de l’incompréhensible que nos traditions religieuses et notre penchant pour l’exagération ont rendu de la sorte. Le storytelling nous semblait être un moyen approprié pour nous retrouver au cœur des paradoxes de l’infini. Nous pouvions ainsi les rendre familiers auprès du public, le plonger dans de nouvelles réalités où des caractéristiques contre-intuitives de l’infini étaient représentées grandeur nature. La plupart des tentatives de vulgarisation scientifique dans la tradition anglo-saxonne utilisent une explication simple accompagnée de nombreuses analogies pertinentes. La stratégie d’INFINITIES était différente.
Nous avons organisé de nombreuses séances de travail dynamiques au cours des deux années précédant la première représentation. Nous y avons esquissé les scénarii extraordinaires que Luca Ronconi a remarquablement créés sur scène, à partir de la traduction de mon texte et de mes idées pour le décor et la mise en scène. Il a exploité l’exceptionnel espace théâtral du Théâtre Bovista de Milan mis à disposition du Piccolo Teatro et dont j’avais reçu des photos au préalable. Nous avons créé une pièce de théâtre composée de cinq scénarii indépendants, chacun présenté dans un espace propre qui explorait un aspect différent de l’infini, spectaculairement mis en scène par Ronconi. Le défi pour les acteurs était immense et leur talent a contribué à la création d’un succès presque incontrôlable, parti d’une simple expérience, avec une demande de tickets à laquelle on ne pouvait pas répondre.
Chaque scène avait donc un décor différent, en rapport avec son contenu, qui plongeait le public dans un monde imaginaire où il se sentait acteur et spectateur à la fois. Le premier scénario prenait place dans un décor imposant, au sein de l’immensité de l’Hôtel de l’Infini, qui, même lorsqu’il est au complet, a toujours des chambres pour infiniment plus de personnes, ce qui crée d’innombrables problèmes pour le personnel et pour les clients.