CHANTAL HURAULT : Après CASIMIR ET CAROLINE, vous retrouvez un autre couple « mythique », Bouli Miro et Petula Clark et vous ouvrez avec lui les portes de votre théâtre à un public plus large, puisqu’il s’adresse aussi aux enfants. Aborder la question du désir et de la sexualité pourrait apparaître ici délicat. Avez- vous voulu la contourner ?
Emmanuel Demarcy-Mota : Je ne pense pas avoir contourné la question de la sexualité en montant WANTED PETULA, pour la raison que Melquiot ne la contourne pas non plus. Ou alors, la sexualité, supposée irreprésentable dans la mesure où les personnages ne font pas l’amour en scène, est forcément « contournable ». Elle est en tout cas ici souvent abordée, de diverses manières et dans différentes sphères. Les personnages de la pièce y font sans cesse allusion, ce qui montre bien que c’est un de leurs constants désirs (les enfants, les parents et les grands-parents, aussi bien que, par exemple, le Petit Prince). Pour moi, désir et sexe ne s’opposent guère.
C. H.: A u théâtre, comme au Guignol, les enfants sont des spectateurs très spontanés qui ont a priori moins de distance. En avez-vous tenu compte ?
E. D.-M.: Le comédien qui joue Bouli est un acteur encore très jeune. Ce n’est pas un adulte au sens ordinaire. Il en va de même de Petula. Ils diffèrent, par leur âge, par leur jeu, des autres. Je suppose que les enfants qui assistent à la représentation s’identifient plus facilement à eux deux qu’aux grands-parents défunts, par exemple. L’identification est moins une projection, qu’une reconnaissance. On reconnaît un enfant, un père, une mère, un aïeul, au théâtre, que ce soit dans Eschyle, Molière ou Melquiot. C’est même sans doute ainsi que l’on peut « initier » les enfants au théâtre, ou en tout cas à un théâtre dont la devise ne serait pas : « Les enfants parlent aux enfants » ! Les ogres aiment bien les enfants, mais les enfants aiment bien aussi les ogres !
C. H.: L’univers de l’enfance est souvent associé à l’innocence. Trouvez-vous qu’aujourd’hui le regard que nous portons sur l’enfance idéalise l’innocence qu’on prête à cet âge là ?
E. D.-M.: Oui ! Je ne crois pas à l’innocence des enfants. Il est, depuis Freud, entendu que les enfants n’ont rien d’innocent. Tout au plus les répute-t-on naïfs, et on s’extasie sur leurs bons mots, mais parce que ces bons mots découvrent plutôt que « le roi est nu ». Dire que le roi est nu suppose un courage contre les préjugés adultes, qui admirent en chœur la robe royale avec la couronne. Dans WANTED PETULA,Bouli passe son temps à démentir les faux-semblants – avec Armstrong, avec le Petit Prince, avec la puce… –, parce que sa quête de Petula l’exige. C’est un chevalier qui combat des monstres, au nom de sa Dame. C’est assez sophistiqué. Ce qu’indique le titre : WANTED PETULA. Il la cherche et la veut !
On m’a rapporté l’indignation d’un père au sortir de la pièce : « Monsieur, cette pièce ne s’adresse pas à des enfants de huit ans ! Mais à des enfants bien plus âgés ! » Je me dis alors : « À père frileux, fils curieux ! » Comme ces enfants qui entendaient leur grand-mère leur raconter sur la naissance des enfants des histoires de roses et de choux, et qui se disent : « On lui dit la vérité, ou on la laisse mourir idiote ?»
C. H.: Vo us dites désirer prolonger votre aventure avec Bouli Miro en collaboration avec Fabrice Melquiot. Qu’est-ce que ce personnage, et plus largement le théâtre en direction de jeunes spectateurs, éveille dans votre désir de metteur en scène ?
E. D.-M.: Justement, une épreuve de vérité. Cela, tout le monde le dit, vous ne retenez l’attention des enfants que si vous ne trichez ni sur les symboles, qui doivent être forts, ni sur l’imaginaire, qui doit être inventif, ni sur le réel, qui est traumatique, et que font passer comme en contrebande l’imaginaire et le symbolique.
Quant à Bouli Miro, il devient lentement mythique. J’apprends donc à le mieux connaître à chaque nouvel épisode, comme si c’était Perceval ou Roland.