Wajdi Mouawad ou le désir de peinture

Entretien
Théâtre

Wajdi Mouawad ou le désir de peinture

Entretien organisé dans le cadre du Festival d’Avignon 2009 où l’écrivain-metteur en scène Wajdi Mouawad a présenté la trilogie LITTORAL, FORÊTS, INCENDIES ainsi que CIELS

Le 18 Avr 2010
Véronique Côté, Guillaume Sévérac- Schmitz, Jean Alibert, Tewfik Jallab, Emmanuel Schwartz, Lahcen Razzougui, Marie-Ève Perron, Bernard Meney, Gérald Gagnon, Jocelyn Lagarrigue, Catherine Larochelle dans LITTORAL texte et mise en scène Wajdi Mouawad, dans le cadre de la représentation du SANG DES PROMESSES, Cour d’Honneur du Palais des Papes, festival d’Avignon, juillet 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Véronique Côté, Guillaume Sévérac- Schmitz, Jean Alibert, Tewfik Jallab, Emmanuel Schwartz, Lahcen Razzougui, Marie-Ève Perron, Bernard Meney, Gérald Gagnon, Jocelyn Lagarrigue, Catherine Larochelle dans LITTORAL texte et mise en scène Wajdi Mouawad, dans le cadre de la représentation du SANG DES PROMESSES, Cour d’Honneur du Palais des Papes, festival d’Avignon, juillet 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Côté, Guillaume Sévérac- Schmitz, Jean Alibert, Tewfik Jallab, Emmanuel Schwartz, Lahcen Razzougui, Marie-Ève Perron, Bernard Meney, Gérald Gagnon, Jocelyn Lagarrigue, Catherine Larochelle dans LITTORAL texte et mise en scène Wajdi Mouawad, dans le cadre de la représentation du SANG DES PROMESSES, Cour d’Honneur du Palais des Papes, festival d’Avignon, juillet 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Véronique Côté, Guillaume Sévérac- Schmitz, Jean Alibert, Tewfik Jallab, Emmanuel Schwartz, Lahcen Razzougui, Marie-Ève Perron, Bernard Meney, Gérald Gagnon, Jocelyn Lagarrigue, Catherine Larochelle dans LITTORAL texte et mise en scène Wajdi Mouawad, dans le cadre de la représentation du SANG DES PROMESSES, Cour d’Honneur du Palais des Papes, festival d’Avignon, juillet 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 104 - Désir de théâtre. Désir au théâtre
104

Waj­di Mouawad : Il s’est passé quelque chose de très impor­tant lorsque, seul, dans un local de répéti­tions, il y a de cela deux ans, je cher­chais les prémices du spec­ta­cle SEULS.Je sen­tais que je n’arrivais pas à pass­er par les mots pour trou­ver la vibra­tion atten­due. Jusqu’à main­tenant, j’y par­ve­nais à tra­vers la con­struc­tion textuelle, après avoir cher­ché avec un cray­on sur le papi­er. Après avoir écrit une phrase, une deux­ième puis une autre, une brèche s’ouvrait tout à coup, un souf­fle textuel arrivait et l’élan était lancé. J’arrivais ain­si, par exem­ple pour LITTORAL ou INCENDIES, au mono­logue qui ouvre le spec­ta­cle, et lorsque j’arrivais à écrire ce pre­mier mono­logue, je ressen­tais un fris­son très fort et com­pre­nais que cela com­mençait, avait com­mencé. Sans ce fris­son, cette explo­sion, je n’ai pas le sen­ti­ment de la nais­sance d’un univers. Et là, seul dans ce local, je sen­tais que ça ne passerait pas par le texte mais sans savoir exacte­ment par quoi ça allait pass­er. Je ne sais pas danser, je ne sais pas faire de la musique ni jouer d’un instru­ment… Alors, j’ai com­mencé très sim­ple­ment, j’ai demandé à ma sœur, qui est plus âgée que moi, ce que je fai­sais quand j’étais petit. Par­mi ce qu’elle m’a racon­té, elle m’a dit : « Quand tu étais petit, tu aimais ranger. » J’ai com­mencé par là, j’ai mis un énorme bor­del dans la salle de répéti­tion, et j’ai tout rangé. Un état médi­tatif s’est instal­lé, des images reve­naient… Puis l’envie de dessin­er est venue. Je me suis dit : « C’est vrai, je fai­sais de la pein­ture quand j’étais petit, les couleurs ayant été mon pre­mier rap­port au jeu, au plaisir, à la soli­tude aus­si. » J’ai com­mencé en me deman­dant ce que ça don­nerait si je pre­nais un bain de rouge. Je me suis pré­paré et je me suis instal­lé dans ce bain rouge. Au bout d’une dizaine de min­utes, j’ai sen­ti que la pein­ture tra­ver­sait mes vête­ments. Je n’avais pas prévu la sor­tie du bain ! J’avais fait con­stru­ire, pour répéter, un mur avec une fenêtre. Je suis allé directe­ment m’essuyer con­tre le mur, je me suis plaqué, j’ai enlevé mes vête­ments et je les ai scotchés con­tre le mur. J’ai pris du papi­er, je me suis séché avec et je l’ai lais­sé traîn­er dans un coin. Puis je suis par­ti pren­dre une douche. L’explosion est arrivée lorsque je suis revenu, de manière absol­u­ment inno­cente, presque par effrac­tion. Je ren­trais dans l’art con­tem­po­rain, mais par effrac­tion. Tout à coup, j’y étais. Car quand je suis revenu, j’ai vu ce décor avec les traces de rouge et les habits agrafés : j’ai vu en une image le rac­cour­ci du spec­ta­cle. C’était la pre­mière fois que je fai­sais une chose pareille. Je n’arrivais pas à croire que moi, un artiste finale­ment assez con­ven­tion­nel et clas­sique, avait pro­duit une image telle que celle-là. Je ne savais pas d’où elle était sor­tie mais j’allais con­stru­ire tout le spec­ta­cle à par­tir d’elle. Ce fut un moment cru­cial qui m’a sor­ti du texte, m’a libéré de ma manière d’écrire. L’idée est en fait venue comme ça. J’ai com­pris ce que je n’avais même pas soupçon­né jusque-là sur la poésie : on y entre par effrac­tion. On y arrive tout à coup et on se dit : « Mais où était la porte ? ».

G. B.: Cela me rap­pelle une dis­cus­sion avec Hein­er Müller à qui l’idée de faire un opéra est venue lorsqu’il a éprou­vé le besoin de débor­der le texte. Il dis­ait : « Ce dont on ne peut plus par­ler, il faut le chanter », et cela se rap­proche de la for­mule que tu avances aus­si : « Ce dont on ne peut pas par­ler, il faut le pein­dre ». Pina Bausch allait un peu dans le même sens quand elle avouait : « Ce dont on ne peut pas par­ler, il faut le danser ». Comme si, lorsqu’on a touché aux lim­ites de son pro­pre domaine, on éprou­ve le besoin impératif de le débor­der en pas­sant, en accé­dant à un autre domaine… Bien enten­du, il ne s’agit pas ici que de la ver­sion « artis­tique » du fameux texte de Wittgen­stein : « Ce dont on ne peut pas par­ler, il faut le taire ». Nous voilà au cœur d’un écartèle­ment : face à l’intensité extrême, on peut soit adopter le silence, soit l’explosion de cadre de son art.
SEULS et LITTORAL sont pas­sion­nants dans ce rap­port à la pein­ture comme pra­tique de l’excès, comme acte en train de faire sous nos yeux. Nous ne nous trou­vons pas face à une œuvre achevée, mais nous sommes les témoins de l’œuvre en train de se con­stituer.

Wajdi Mouawad en répétition de SEULS, texte et mise en scène Wajdi Mouawad, Espace Malraux, Chambéry, février 2008. Photo Thibaut Baron.
Waj­di Mouawad en répéti­tion de SEULS, texte et mise en scène Waj­di Mouawad, Espace Mal­raux, Cham­béry, févri­er 2008.
Pho­to Thibaut Baron.

W. M.: Nous avons longtemps réfléchi avec Emmanuel Clo­lus, le scéno­graphe, sur la manière dont les pièces pou­vaient être la mémoire les unes des autres. Com­ment le spec­ta­teur peut garder la mémoire des pièces qui sont passées. Com­ment la mémoire peut-elle s’inscrire ? Puisque les pièces abor­daient en elles-mêmes cette ques­tion, on s’est inter­rogé sur la façon dont LITTORAL pou­vait rester dans la mémoire d’INCENDIES. Com­ment INCENDIES et LITTORAL pou­vaient rester dans FORÊTS ? Et com­ment LITTORAL pou­vait, à la lim­ite, devenir la scéno­gra­phie d’INCENDIES et INCENDIES et LITTORAL devenir celle de FORÊTS ? Or, quand on fait un spec­ta­cle dans la Cour d’honneur, il y a un élé­ment inéluctable auquel il faut penser, c’est le vent. Utilis­er une grande et belle toile peut devenir un jeu dan­gereux s’il y a un mis­tral vio­lent. La pein­ture, elle, allait tach­er et rester en mémoire. L’idée a été de faire LITTORAL et d’encadrer le planch­er de LITTORAL sur lequel INCENDIES se jouait. Puis de dérouler un tapis blanc qui effaçait mais con­ser­vait l’en-dessous. Cet en-dessous resur­gis­sait quand de l’eau tombait peu à peu sur la toile blanche qui, mys­térieuse­ment, se re-tachait de rouge. Du rouge qui était en dessous et qui fai­sait en sorte qu’à la fin, ces his­toires racon­tées resur­gis­saient par les pieds des acteurs. Nous étions dans un mon­u­ment his­torique… on m’a alors pro­posé que le décor soit déjà peint, que les sil­hou­ettes soient déjà sur le mur au début, que ce soit de la fausse pein­ture. Évidem­ment je ne pou­vais pas accepter puisque tout repo­sait sur l’idée de l’apparition, de la fab­ri­ca­tion en temps réel, si je puis dire. Et de cette présence naît beau­coup de mémoire. Sans que j’en com­prenne exacte­ment la rai­son.

G. B.: Lorsque les acteurs font des tach­es de bleu sur la toile blanche, cela me rap­pelle la mise en scène d’ANTOINE ET CLÉOPÂTRE de Peter Brook à la Roy­al Shake­speare Com­pa­ny au début des années qua­tre-vingts. Il s’est posé la ques­tion de la représen­ta­tion de la guerre. On peut, certes, tou­jours représen­ter la guerre selon le code shake­spearien, un sol­dat pour une armée… Mais Brook a imag­iné une des solu­tions autres qui allait dans le même sens que toi. Sur le plateau il avait dressé cinq grandes parois en plas­tique semi trans­par­ent, les « mil­i­taires » tra­ver­saient la scène en courant et jetaient de l’encre noire qui lais­sait des traces sur ces parois. Nous perce­vions dans l’instantanéité du geste, la vio­lence de la guerre. Jeter l’encre, c’était comme tuer des gens, mais ce geste destruc­teur respecte l’exigence théâ­trale qui con­siste à ne pas vouloir, ne pas pou­voir mon­tr­er directe­ment la guerre sur une scène. Chez Brook les tach­es noires qui con­tin­u­aient à dégoulin­er sem­blaient se con­ver­tir en secrètes cal­ligra­phies chi­nois­es. Ain­si nous étions les témoins de la guerre et en même temps les lecteurs de l’histoire de la guerre dont nous avons été les témoins. Au fond chez toi, la sit­u­a­tion ressem­ble car, face aux tach­es bleues, on a le sen­ti­ment de revoir une mer mais aus­si d’avoir été témoin de ce voy­age. L’action paint­ingdonne une vio­lence au geste théâ­tral tout en lui per­me­t­tant de débor­der la scène.

Jocelyn Lagarrigue, Valeriy Pankov, Isabelle Roy dans INCENDIES texte et mise en scène Wajdi Mouawad, dans le cadre de la représentation du SANG DES PROMESSES, Cour d’Honneur du Palais des Papes, festival d’Avignon, juillet 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Joce­lyn Lagar­rigue, Valeriy Pankov, Isabelle Roy dans INCENDIES texte et mise en scène Waj­di Mouawad, dans le cadre de la représen­ta­tion du SANG DES PROMESSES, Cour d’Honneur du Palais des Papes, fes­ti­val d’Avignon, juil­let 2009.
Pho­to Jean-Louis Fer­nan­dez.

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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