La mise en scène d’opéra – une utopie ?

Entretien
Opéra

La mise en scène d’opéra – une utopie ?

Entretien avec Sergio Morabito et Jossi Wieler

Le 11 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
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ISABELLE MOINDROT : Jos­si, tu as tra­vail­lé d’abord comme met­teur en scène de théâtre, tu con­tin­ues de créer dans ce domaine, et tu diriges depuis 2011 l’Opéra de Stuttgart, un théâtre de réper­toire avec une troupe, des chœurs et un orchestre. Avec Ser­gio Mora­bito, tu signes toutes tes mis­es en scène d’opéra depuis ALCINA – un spec­ta­cle créé en 1998 qui a beau­coup tourné – et depuis lors, nom­bre de vos réal­i­sa­tions, même les plus con­tro­ver­sées, ont été élues « mis­es en scène de l’année ».
Com­ment tra­vaillez-vous et quelle dif­férence y a‑t-il selon vous entre le tra­vail scénique au théâtre et à l’opéra ?

Jos­si Wiel­er : La dif­férence est grande en rai­son de la dis­ci­pline très spé­ci­fique du chanteur rel­a­tive­ment à son per­son­nage. Le chanteur se pré­pare des mois, voire des années à l’avance. Avant même de com­mencer à répéter, il doit maîtris­er sa voix, son instru­ment, la musique et le texte et être en mesure d’écouter d’autres parte­naires qui eux-mêmes doivent faire la même chose – ce qui n’existe pas au théâtre sous cette forme. Au théâtre, quand un acteur en répéti­tion dit « je », il est sou­vent dif­fi­cile de déter­min­er s’il pense à sa pro­pre sit­u­a­tion ou à celle de son per­son­nage – ce genre d’ambiguïté dans le dia­logue n’existe pra­tique­ment jamais à l’opéra, parce que la psy­cholo­gie du per­son­nage n’est qu’un critère par­mi d’autres. À l’opéra, on peut décrire la sit­u­a­tion de son per­son­nage à un chanteur et de lui-même il peut la faire pass­er dans le corps, dans la musique. Et cela nous libère de beau­coup de choses, dans le tra­vail de mise en scène. Un imag­i­naire sur­git, indépen­dant du met­teur en scène, et que celui-ci peut seule­ment stim­uler.

Ser­gio Mora­bito : Selon nous, il ne peut pas y avoir de renou­velle­ment de la scène lyrique en lais­sant de côté le chanteur ou en l’utilisant comme un acces­soire pour incar­n­er un con­cept a pri­ori. Nous por­tons une atten­tion extrême, qua­si éthique, à la place du chanteur dans le tra­vail, pour qu’il se sente pleine­ment libre et respon­s­able des choix scéniques, à l’intérieur de l’esthétique de l’espace et des cos­tumes. Par­al­lèle­ment, dans notre dia­logue avec le scéno­graphe, nous renonçons à la volon­té de tout savoir à l’avance. Que l’espace acquière une logique, une valeur et une atmo­sphère intrin­sèques nous importe beau­coup plus – c’est ain­si que les solu­tions scéniques les plus belles nous ont été inspirées, celles pré­cisé­ment qu’il est impos­si­ble d’anticiper.

I. M. : Est-ce cet échange qui rend pos­si­ble votre col­lab­o­ra­tion ? Car vous venez d’horizons très dif­férents.

S. M. : Jos­si était un met­teur en scène de théâtre très con­nu, avec une for­ma­tion d’acteur, d’acteur tchekhovien, ori­en­té théâtre d’art, mais sans expéri­ence de l’opéra. C’est Klaus Zehelein qui l’a con­va­in­cu de met­tre en scène du lyrique, d’oser cela. Au départ, le dia­logue était très com­pliqué entre nous, parce que nous étions imprégnés d’expériences com­plète­ment dif­férentes – je venais du lyrique, où j’avais été assis­tant de Ruth Berghaus. Puis est arrivée Anna Viebrock, et elle a été par­faite dans cette sit­u­a­tion qui pou­vait vrai­ment diverg­er. Jos­si est un homme qui écoute, qui per­met, et sans ce don qu’il a, cela n’aurait pas été envis­age­able. Au cœur de notre tra­vail, il y a le dia­logue – les choix ne sont jamais pris par un seul.

I. M. : L’opéra dis­pose sou­vent de chœurs, de mass­es incon­nues au théâtre. Est-ce un plaisir, une con­trainte ?

J. W. : Comme tout chanteur, le chœur apporte avec lui la con­nais­sance de la musique, des sit­u­a­tions et des per­son­nages. Bien sûr, on peut lui expli­quer les mou­ve­ments et les atti­tudes sans entr­er dans les détails (par exem­ple : sur telle ou telle note, ouvrez tous la main) – beau­coup de met­teurs en scène procè­dent ain­si, d’une manière choré­graphique ou chorale, et cela peut fonc­tion­ner. Mais notre démarche est plutôt d’apporter au chœur une réponse, y com­pris artis­tique, en nous adres­sant à cha­cun en par­ti­c­uli­er. Par exem­ple, dans LA JUIVE, le point de départ de la marche funèbre du début de l’acte V, qui char­rie des images arché­typ­ales anti­sémites, prove­nait d’images trou­vées dans un livre sur la région du lac de Con­stance à l’époque de la deux­ième guerre mon­di­ale. Lors du car­naval des années1937 ou 1938, les bour­geois de la ville avaient défilé, déguisés en juifs en train d’émigrer. L’histoire de LA JUIVE se déroule pré­cisé­ment à Con­stance, au XVe siè­cle. Nous avons racon­té cela aux cho­ristes, nous leur avons mon­tré les images, et nous avons mis en scène la marche funèbre. Si l’on pense qu’un chœur peut agir par lui-même, qu’il n’est pas là seule­ment pour recevoir des ordres, alors il le prou­ve. Il s’ouvre alors des domaines qui appor­tent beau­coup en retour.

S. M. : Quand on regarde les pho­tos de MOSES UND AARON, ce sont pour moi les plus belles pho­tos de théâtre, ou presque. Chaque vis­age racon­te une his­toire, une his­toire indi­vidu­elle. Et une forme sub­siste, qui n’est pas du tout quel­conque. Pour y par­venir, il faut chercher, essay­er, oser – c’est un proces­sus ouvert et non pas l’application d’une esthé­tique.

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Isabelle Moindrot
Isabelle Moindrot est Professeure d'Études théâtrales à l'Université Paris 8, membre senior de l'Institut universitaire...Plus d'info
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