INSPIRÉ par une légende occitane du XIIIe siècle, l’opéra WRITTEN ON SKIN, texte de Martin Crimp, musique de George Benjamin et mise en scène de Katie Mitchell est un événement qui fera date dans l’histoire de l’opéra de ce début du XXIe siècle.
Un seigneur, fier de ses terres et de ses domaines, protecteur et propriétaire, obsédé de pouvoir et de pureté, possesseur de sa femme analphabète, invite chez lui un jeune artiste enlumineur pour qu’il immortalise dans un livre l’impitoyable exercice de son pouvoir, la jouissance de son ordre domestique et de la soumission de son épouse.
La réalisation des enluminures ira de pair avec la séduction de l’épouse et en même temps par la rébellion de celle-ci et l’affirmation de sa liberté sexuelle.
De nombreux éléments concourent à la réussite exemplaire de cette œuvre : l’extraordinaire rencontre toute en fluidité du texte, de la musique et de la mise en scène poursuivant la même puissance narrative, mêlant le rêve et la réalité, inscrivant la trame dans son contexte historique mais n’hésitant pas à traverser les époques, créant en permanence une porosité entre les univers historiques et contemporains.
Le texte prend le parti de dédoubler les personnages : ce sont à la fois des anges et à la fois des personnages de fiction. Ils vivent les évènements et les racontent en même temps.
La langue est portée par une rigueur et une simplicité, mais renvoie aussi à la complexité des rapports entre les êtres. Les incises anachroniques qui émaillent le texte sont suivies par des moments bouleversants de poésie. Cette poésie est inscrite dans le présent. Le conte médiéval innervé par la jalousie, la vengeance et la mort n’est pas mis à distance : les corps des acteurs /chanteurs en font un drame à la résonance contemporaine et universelle.
La musique de George Benjamin (plaisir et émotion de le voir diriger lui-même son œuvre) est d’une limpidité et d’une force soutenue tout au long de l’œuvre. Alternant douceur et violence, s’adaptant parfaitement à la double dimension poétique et narrative, elle réalise une performance dans le domaine de la sonorité et de l’expressivité des voix. On est littéralement porté par les voix, littéralement « pendu aux lèvres des chanteurs » qui, fait malheureusement trop rare à l’opéra, rendent tous les mots audibles à tout moment ! La beauté scintillante de la musique dégage une sensualité portée jusque dans les silences qui suivent les séquences les plus poignantes.
La mise en scène doit beaucoup au dispositif scénique divisé en espaces distincts qui évoluent par la lumière (éclairages superbes) et les allers et venue des objets et accessoires. Le regard peut balayer s’il le veut l’ensemble de ces cadres : les ateliers, le vestiaire, la demeure, la forêt, la fenêtre et la neige qui tombe derrière, un escalier très contemporain, siège du dénouement du drame.
Le jeu des acteurs /chanteurs, entièrement habité par le drame qui se noue, nous entraîne naturellement de l’histoire du XIIIe siècle aux sentiments et affects d’aujourd’hui.
On ne sait plus à certains moments si ce sont les anges qui sont réels puisque ce sont eux qui endossent ou font endosser les habits des protagonistes.
Même si la violence est au cœur du dispositif, lenteur et douceur traversent le spectacle jusqu’à cette image finale où les anges suivent la femme dans sa montée dans l’escalier jusqu’à sa disparition où on l’imagine à la fois se jeter dans les airs mais où peut-être « le garçon devenu ange la tient suspendue dans le ciel de la nuit ».
La fusion intense et poétique du texte, de la musique et de la mise en scène font de cet opéra une histoire brûlante dans un écrin de glace.