Le théâtre permanent-re au Point du jour : vers une démesure durable ?

Entretien
Théâtre

Le théâtre permanent-re au Point du jour : vers une démesure durable ?

Entretien avec Gwenaël Morin

Le 17 Nov 2013
Pierre Laloge, Maxime Roger, Lucas Delesvaux, Judith Rutkowski, Benoit Martin, Asja Nadjar dans DOM JUAN de Molière, mise en scène Gwenaël Morin, dramaturgie Barbara Métais-Chastanier, assistant à la mise en scène Philippe Mangenot. Théâtre Permanent au Théâtre du Point du jour à Lyon, septembre 2013. Photo Élodie Erard.
Pierre Laloge, Maxime Roger, Lucas Delesvaux, Judith Rutkowski, Benoit Martin, Asja Nadjar dans DOM JUAN de Molière, mise en scène Gwenaël Morin, dramaturgie Barbara Métais-Chastanier, assistant à la mise en scène Philippe Mangenot. Théâtre Permanent au Théâtre du Point du jour à Lyon, septembre 2013. Photo Élodie Erard.

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Pierre Laloge, Maxime Roger, Lucas Delesvaux, Judith Rutkowski, Benoit Martin, Asja Nadjar dans DOM JUAN de Molière, mise en scène Gwenaël Morin, dramaturgie Barbara Métais-Chastanier, assistant à la mise en scène Philippe Mangenot. Théâtre Permanent au Théâtre du Point du jour à Lyon, septembre 2013. Photo Élodie Erard.
Pierre Laloge, Maxime Roger, Lucas Delesvaux, Judith Rutkowski, Benoit Martin, Asja Nadjar dans DOM JUAN de Molière, mise en scène Gwenaël Morin, dramaturgie Barbara Métais-Chastanier, assistant à la mise en scène Philippe Mangenot. Théâtre Permanent au Théâtre du Point du jour à Lyon, septembre 2013. Photo Élodie Erard.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 119 - Le grand format
119

BÉRÉNICE HAMIDI-KIM : À l’origine (en 2009), le man­i­feste du théâtre per­ma­nent d’Aubervilliers impli­quait de jouer du mar­di au same­di, avec chaque jour un pro­gramme énorme pour une si petite troupe : ate­liers de trans­mis­sion le matin, répéti­tions l’après-midi, représen­ta­tions le soir. Sans compter la créa­tion d’une nou­velle pièce tous les deux mois, le « porte-à-porte » dans le quarti­er… Était-ce le cœur du pro­jet : faire du théâtre un exploit physique, héroïque, au risque de l’épuisement ?

Gwe­naël Morin : Il y avait une dimen­sion physique, c’est cer­tain, mais ce n’était pas l’Everest non plus ! Le pro­jet était de faire du théâtre une expéri­ence et une pra­tique qui fassent par­tie de notre rythme de vie quo­ti­di­en… Je crois à l’idée que l’art trans­forme la vie ; eh bien ! qu’il trans­forme d’abord ma pro­pre vie avant que je ne pré­tende influer sur la pro­duc­tion de sens pour autrui. J’avais aus­si souf­fert de tra­vailler au coup par coup, par inter­mit­tence. Il me sem­blait qu’il y avait là une perte d’énergie con­sid­érable. Le théâtre per­ma­nent était la forme sim­ple, élé­men­taire, pour affirmer cette volon­té d’un théâtre au jour le jour tout en dessi­nant une per­spec­tive sur le long terme. Nous voulions aus­si faire la ten­ta­tive d’une cer­taine forme de rit­uel. En tant qu’artiste de théâtre, je con­sid­ère que mon tra­vail con­siste à don­ner au temps une forme spé­ci­fique, qui passe par les corps. L’enjeu était aus­si d’affirmer un principe de répéti­tion inex­orable, tous les jours – je pense que c’est la voca­tion même du tra­vail de recherche théâ­trale. La répéti­tion est un proces­sus d’épuisement, il s’agit de répéter pour s’améliorer, certes. Mais ça, c’est la dimen­sion tech­nique. La dimen­sion expéri­men­tale con­siste, par une insis­tance dans la répéti­tion, à épuis­er un cer­tain nom­bre de pos­si­bil­ités pour faire l’expérience de l’inimaginable. C’est une recherche dans la répéti­tion du même, pour un « trou­vage » per­ma­nent, jusqu’à ce que quelque chose advi­enne… ou pas. Recom­mencer, refaire, répéter. C’est un engage­ment de l’ordre de la course de fond, au lieu du sprint que pro­duit l’intermittence du tra­vail artis­tique.

B. H.-K.: En quelle mesure, ou plutôt dé-mesure, s’agit-il aus­si d’un geste poli­tique pour vous ? Est-ce une façon de lut­ter con­tre un cer­tain devenir rou­tinier des mis­sions du « théâtre pub­lic » au sein des insti­tu­tions cen­sées l’incarner, de leur ren­dre leur grandeur ?

G. M.: Ce n’est pas de la démesure en soi, cela paraît démesuré parce que nous sommes peu nom­breux à le faire, alors même que toute l’histoire du théâtre est tra­ver­sée par ce mythe de la troupe, depuis Shake­speare jusqu’à Mnouchkine en pas­sant par Vitez ou Kan­tor. J’ai voulu moi aus­si faire l’expérience d’un engage­ment total dans cette activ­ité : faire du théâtre – ce qui ne sig­ni­fie pas seule­ment faire des spec­ta­cles. C’est excep­tion­nel, mais c’est pour­tant un idéal com­mun et je n’ai pas l’impression d’inventer quelque chose de sin­guli­er. Par ailleurs, cela n’est pos­si­ble que grâce à la beauté de l’engagement de mes acteurs et col­lab­o­ra­teurs. C’est en ce sens là que le pro­jet est excep­tion­nel : c’est une expéri­ence que n’importe qui devrait pou­voir faire, mais que l’on ne peut pas faire avec n’importe qui. Je n’aurais jamais pu faire cela seul. Je peux sim­ple­ment con­tribuer à insuf­fler une sorte d’enthousiasme – d’aveuglement peut-être. D’ailleurs, qui veut faire du théâtre avoue son inca­pac­ité à être seul. Nous, les artistes, sommes des faibles de la soli­tude. Si je regrette par­fois le fonc­tion­nement des CDN et Scènes Nationales, c’est qu’il pousse les artistes à pro­duire des biens cul­turels, et que ces théâtres devi­en­nent des mag­a­sins où con­som­mer. On quitte ce qui est selon moi la voca­tion du théâtre pub­lic : l’affirmation publique de la parole comme espace de con­struc­tion de la rela­tion à l’autre et de con­struc­tion de la société. Ce n’est pas le seul endroit, mais au théâtre il s’agit d’une parole utopique, poé­tique. Un théâtre est le lieu où doit se réaf­firmer, au jour le jour, cette parole dans la Cité, avant d’être un lieu où dif­fuser des pro­duits cul­turels. Ça n’a rien à voir avec la nos­tal­gie d’un âge d’or du théâtre. Pour moi le théâtre est quelque chose de tou­jours illégitime, pré­caire, mais il doit le rester, être sur le point de vac­iller et ne pas s’en plain­dre car c’est sa fonc­tion même. Il y a sou­vent un dis­cours ter­ri­ble sur le fait qu’il faut pro­téger les artistes, parce qu’ils seraient frag­iles et parce que sans con­fort ils ne pour­raient pas pro­duire de chefs‑d’œuvre. Mais les artistes n’ont pas besoin d’être pro­tégés, et ils n’ont pas for­cé­ment à pro­duire des objets irréprochables, par­faits. Je ne suis pas dans la quête de l’excellence et j’essaie de sor­tir de ce rap­port avec le pub­lic comme avec les acteurs. J’essaie qu’ils acceptent non pas l’approximation, mais que la trans­for­ma­tion du tra­vail au jour le jour par­ticipe aus­si du plaisir du spec­ta­teur. « Art vivant », dit-on : ce qui est vivant, c’est l’œuvre. Que les gens voient le spec­ta­cle vivre !

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Gwenaël Morin
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Bérénice Hamidi-Kim
Bérénice Hamidi-Kim est maîtresse de conférences en Études Théâtrales à l’Université Lyon 2, chercheuse associée...Plus d'info
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