L’impossible tout et les parties multiformes

Entretien
Théâtre

L’impossible tout et les parties multiformes

Entretien avec Joris Lacoste et Nicolas Rollet

Le 18 Nov 2013
Collection (17 FÉVRIER 2011), vue de l’exposition-parcours / dispositif d’écoute à la Villa Arson. Photo Jean Brasille.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 119 - Le grand format
119

VOUS AVEZ FONDÉ l’Encyclopédie de la parole aux Lab­o­ra­toires d’Aubervilliers en 2007 et vous présen­tez cette sai­son, dans le cadre du Fes­ti­val d’Automne à Paris, deux spec­ta­cles : un solo, PARLEMENT, et SUITENO1 « ABC » pour vingt-deux inter­prètes. Ils se car­ac­térisent l’un et l’autre par la resti­tu­tion scénique d’extraits sonores enreg­istrés que vous avez col­lec­tés, puis jux­ta­posés et tressés dans une forme de dis­cours com­pos­ite. Pour­riez-vous revenir sur cette pra­tique de la col­lecte ou de la col­lec­tion ?

Joris Lacoste : Elle est au fonde­ment même de notre recherche. À Aubervil­liers, j’ai voulu réu­nir des gens qui s’intéressaient à la parole et aux phénomènes lan­gagiers dans divers domaines, et dont on savait qu’ils pos­sé­daient des morceaux de poésie sonore, des inter­views, des films, toutes sortes de matéri­aux. On voulait trou­ver un moyen de met­tre en rap­port ces dif­férentes formes de parole sans savoir a pri­ori ce qu’on allait pro­duire, sans se pos­er la ques­tion de la pub­li­ca­tion. On a donc com­mencé à col­lecter des doc­u­ments, à con­stituer des col­lec­tions, en s’attachant chaque mois à un phénomène ou à une entrée.

Les entrées avaient-elles été fixées au préal­able ou sont-elles venues pro­gres­sive­ment ?

J. L. : Nous avions déter­miné dix entrées de manière un peu empirique – « Cadences », « Tim­bres » ou « Adress­es », par exem­ple – qui ont servi de points de départ à notre tra­vail de col­lecte. Au fur et à mesure que les col­lec­tions aug­men­taient, nous ren­con­tri­ons de nou­veaux phénomènes qui nous fai­saient créer de nou­velles entrées. C’est ain­si que l’entrée « Adress­es » n’existe plus en tant que telle aujourd’hui. Elle a été divisée en deux caté­gories : « Pro­jec­tions » (le fait de s’adresser à un inter­locu­teur absent) et « Focal­i­sa­tions » (le change­ment d’adresse à l’intérieur d’une même parole). Les entrées se sont donc déplacées et cer­taines se sont ajoutées au fil de la recherche.

Nico­las Rol­let : Autant les caté­gories ori­en­tent nos recherch­es, autant les nou­veaux phénomènes de parole qu’on intè­gre à la col­lec­tion redéfinis­sent les caté­gories exis­tantes. Notre tra­vail est poten­tielle­ment infi­ni dans la recherche des doc­u­ments, mais aus­si dans la clas­si­fi­ca­tion de la recherche, dans la for­mu­la­tion même de notre col­lec­tion. Nous avons aujourd’hui dix-huit entrées pour quelque huit cents doc­u­ments.

Ces doc­u­ments con­stituent pour ain­si dire votre banque de don­nées, ou votre réper­toire – pour utilis­er un terme de théâtre –à par­tir duquel vous créez vos pièces. Mais pourquoi avoir don­né le nom d’Encyclopédie au col­lec­tif ? Est-ce avec l’ambition de procéder à une vaste com­pi­la­tion, voire de ten­ter une total­i­sa­tion, sinon des savoirs, du moins des phénomènes lan­gagiers ?

J. L. : Ce n’est pas vrai­ment ain­si que nous l’entendons. Il ne s’agit évidem­ment pas de col­lecter sys­té­ma­tique­ment toutes les paroles ni même tous les types de parole ; en revanche, nous ne nous inter­dis­ons aucun champ, aucun genre. Nous allons chercher dans tous les con­textes d’énonciation pos­si­bles. Par oppo­si­tion au dic­tio­n­naire, qui s’attache à énumér­er et à définir un nom­bre fini d’éléments, une ency­clopédie est une entre­prise de descrip­tion qui demeure ouverte. On choisit un champ de recherche et, après avoir fixé quelques principes, on entame une explo­ration sans en fix­er le terme a pri­ori. Par ailleurs, même si notre but n’est pas didac­tique au sens où pour­rait l’être celui d’une ency­clopédie « clas­sique », la ques­tion qui sous-tend le pro­jet reste d’examiner dans quelle mesure une démarche artis­tique pro­duit du savoir, et quel type de savoir.

N. R.: Le terme « réper­toire » fait écho à notre approche mod­erne de la langue. Nous nous intéres­sons plus au réper­toire ver­bal, à la var­iété lan­gag­ière aux pris­es avec des con­textes et des activ­ités sociales, qu’aux langues elles-mêmes. C’est cela que nous bras­sons et tra­ver­sons : des ren­con­tres, des actions, et pas seule­ment des langues ou des reg­istres. Au reste, notre fil­tre de sélec­tion est extrême­ment large et notre réper­toire com­prend aus­si bien, pour pren­dre des exem­ples qu’on entend dans PARLEMENT, des pro­pos de Julien Lep­ers sur le plateau de QUESTIONS POUR UN CHAMPION qu’une apos­tro­phe de Dominique de Villepin adressée à François Hol­lande à l’Assemblée nationale, aus­si bien une déc­la­ra­tion de Michel Sar­dou en faveur de la peine de mort qu’un extrait d’une con­férence de Lacan.

SUITE No 1 «ABC»
(octobre 2013)
au centre Pompidou.
Photo Hervé Veronese.
SUITE Nº1 « ABC » (octo­bre 2013) au cen­tre Pom­pi­dou.
Pho­to Hervé Veronese.

Com­ment l’Encyclopédie de la parole a‑t-elle pro­liféré entre 2007 et aujourd’hui ? Com­ment s’est-elle dépliée ou déployée ? À quelles formes a‑t-elle don­né lieu au fil des ans ? Com­ment ces formes se sont-elles déclinées ?

J. L. : A ssez vite, aux Lab­o­ra­toires d’Aubervilliers, est venue l’idée d’inviter des artistes sonores, des com­pos­i­teurs ou des DJ, pour leur deman­der d’effectuer des mon­tages au sein de notre col­lec­tion. Autrement dit, il s’agissait de réalis­er une pièce sonore dont nous espéri­ons qu’elle révélerait des rap­ports inat­ten­dus, inouïs, entre les doc­u­ments que nous avions col­lec­tés. Peu à peu, nous avons invité un pub­lic à partager ces moments d’écoute. Ces ren­con­tres men­su­elles ont été la pre­mière man­i­fes­ta­tion publique, ou « pub­liée », du tra­vail. Nous décou­vri­ons la pièce en même temps que le pub­lic, puis nous dis­cu­tions des phénomènes en jeu, et il est arrivé que cer­tains spec­ta­teurs-audi­teurs nous pro­posent des doc­u­ments. Le tra­vail s’est donc con­stru­it dans le dia­logue.

Nous nous sommes demandé très con­crète­ment com­ment présen­ter le tra­vail. La plate­forme de base est le site Inter­net, qui pro­pose toute la col­lec­tion inprogressen accès libre. À la suite des pièces sonores, nous avons imag­iné des con­férences, des instal­la­tions, un jeu, puis des per­for­mances. Avant d’être un spec­ta­cle, PARLEMENT était une petite per­for­mance de vingt min­utes qu’Emmanuelle Lafon a créée en 2009, dans laque­lle elle inter­pré­tait un mon­tage sonore réal­isé à par­tir de la col­lec­tion. Nous avons dévelop­pé cette activ­ité avec la Chorale de l’Encyclopédie, et nous con­tin­uons aujourd’hui avec la série des SUITES CHORALES.

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