LES 21 – 22 FÉVRIER DERNIERS, le plasticien Patrick Corillon présentait au Corridor – maison de production, de résidence et de création pour les arts vivants à Liège, où il est artiste associé avec sa compagne, la metteure en scène Dominique Roodthooft – quatre récits-performances sous le titre générique :
LES VIES EN SOI, VOYAGES EXTRAORDINAIRES DANS LE MONDE DES OBJETS
La rivière bien nommée – 60 minutes pour être de son temps
Le benshi d’Angers – 60 minutes et des poussières
L’ermite ornemental – 60 minutes pour ne rien dire
L’appartement à trous – 60 minutes pour parler toutes les langues
Dans ces spectacles de petite forme, écrits, fabriqués et racontés par lui-même, Patrick Corillon nous entraîne dans des histoires inventées qui interrogent métaphoriquement la quête d’identité à travers un dispositif d’objets, de livres, d’images et de sons qu’il manipule en revisitant de manière personnelle différentes traditions de narration orale (le benshi, le kamishibai, les cantastories).
En tant que plasticien, l’artiste fait depuis longtemps usage des histoires et de l’écriture… Il a même inventé un personnage, Oskar Serti, dont les aventures, relatées sur son site, interviennent dans ses créations diverses (objets, installations, dessins, images animées, livres…). Exposé dans de nombreux musées européens, invité entre autres à la Documenta de Kassel, à la biennale de Sao Paulo, de Lyon et de Sydney, Patrick Corillon a reçu également de nombreuses commandes publiques dont la plus récente concerne le nouveau Théâtre de Liège où il est intervenu graphiquement en imprimant des mots et des phrases – comme autant d’amorces ou bribes d’histoires – à divers endroits du théâtre (frise du grand hall, plafond de la verrière, comptoir du bar, loges des artistes, jusque dans la penderie du concierge !).
Depuis 2006, il développe aussi des spectacles d’art vivant : avec Dominique Roodthooft, il a créé la trilogie du DIABLE ABANDONNÉ dont le récit était porté par l’actrice mais où il intervenait pour faire défiler les mots et les images. Son personnage Oskar Serti a donné lieu à une création musicale, OSKAR SERTI VA AU CONCERT, au Klangforum de Vienne. Et, à la demande de LOD, maison de production de théâtre musical basée à Gand, il a conçu un opéra à partir des AVEUGLES de Maeterlinck avec le jeune compositeur Daan Janssens.
Dans LES VIES EN SOI, Patrick Corillon performe lui-même ses textes. Pas comme un acteur, ni même comme un conteur. Il se présente à nous tel qu’en lui-même – car c’est sa propre histoire qu’il raconte et réinvente à chaque fois – avec sa personnalité joyeuse, joueuse et désireuse de partager avec autrui ce qui l’anime. Combinant l’érudition et l’émerveillement, la spontanéité et la fausse naïveté, il nous embobine dans ses fictions qui parlent vrai avec une discrétion paisible et malicieuse, agissant à travers le support d’ « objets » fabriqués par lui – dont beaucoup de livres-objets regorgeant de surprises –, d’une géométrie épurée et d’une esthétique raffinée, à partir de matériaux simples, voire pauvres : papier, carton, bois, plastique, métal, fil… Et sa manière de raconter est si naturelle (alors qu’elle est tout sauf improvisée), ses récits si fantaisistes et en même temps si prenants, son dispositif plastique si poétique et son imaginaire si ouvert qu’un charme étrange opère, hors des codes habituels de la représentation scénique.
Entretien avec cet inclassable plasticien-performeur pour saisir l’alchimie de ses Vies en soi…
Isabelle Dumont : Qu’est-ce qui amène un plasticien reconnu comme tu l’es, exposé dans les plus prestigieux lieux de l’art contemporain, à raconter des histoires en toute intimité, avec quelques objets, sons et images ?
Patrick Corillon : C’est ce que j’ai toujours voulu faire en tant que plasticien : incarner des récits et les placer dans les lieux de vies, par exemple dans les parcs s’il s’agissait de commandes publiques. Mais à un moment donné, j’ai ressenti un vide, qui était le vide du corps, et j’ai eu besoin de mettre mon corps en jeu par rapport au récit. Ainsi est venue la question : comment est-ce que je peux être lu physiquement ? J’ai donc décidé de voir ce qui se passait du côté du théâtre.
Il y avait quelque chose d’exploratoire là-dedans. Ce n’était pas quitter une étape pour une autre : j’étais pris dans le flot des histoires – parce qu’elles sont ma mesure pour être au monde – et les histoires, c’est comme les inondations, ça va partout… Je voulais donc voir où elles allaient m’entraîner, comment elles allaient s’immiscer dans l’oralité, dans un rapport au temps différent. Bien souvent, dans les arts plastiques, on met en avant le côté espace et pas le côté temps : on pense que « pérenne » veut dire « immortel » or une œuvre, même faite pour durer, ne dure toujours qu’un temps. Au théâtre, le temps est réel parce que le corps l’éprouve.