Bernard Debroux : Quelles sont les circonstances qui t’ont amené à devenir le musicien classique que t u es aujourd’hui ?
Serge Kakudji : J’avais sept ans, je regardais la télé, et en zappant je suis tombé sur une chaîne où il y avait de l’opéra. C’était ma première rencontre avec ce style de musique, j’ai été ébloui. J’avais le sentiment de comprendre le chanteur rien que par ses gestes et je ressentais très fort les émotions qu’il dégageait. Un peu plus tard, ce fut la rencontre avec les chants d’église à la cathédrale.
B. D. : Tu vivais à cette époque à Lubumbashi ?
S. K. : Oui, c’est la ville où j’ai grandi. J’ai adhéré à une chorale d’enfants, les troubadours de Lubumbashi. J’allais d’une chorale à l’autre, cherchant le chef de chœur qui pourrait le mieux me faire progresser. Je voulais toujours chanter mieux, je cherchais la perfection. On m’appelait « le vagabond de chorale ». Quand je chantais au tout début, on me disait que ma voix était moche, comme le bruit de la boite d’allumettes que l’on secoue. Cela m’encourageait encore davantage tellement j’étais accroché à ce que j’avais entendu et vu à la télé et à la beauté des chants d’églises. Ça m’obligeait à être le plus vrai possible quand je chantais, quand je travaillais la technique.
Je me souviens que vers l’âge de neuf, dix ans j’avais demandé à un gardien d’école de pouvoir répéter à 5h30 du matin sur le terrain scolaire pour chauffer ma voix, la travailler jusqu’à l’ouverture de l’établissement à 7h30 !
B. D. : Tu as commencé très tôt à te produire en public…
S. K. : Je faisais des petits concerts privés, accompagné d’amis pianistes. Quand je voyais les gens contents, j’étais heureux. Quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais devenir chanteur d’opéra, ils ne m’ont pas vraiment cru ! Déjà en Afrique c’était un terme très rare, mais alors au Congo (rires)… J’ai tenu bon, j’ai avancé, et on a fait de plus en plus souvent appel à moi dans les chorales.
B. D. : Quelles sont les motivations qui t’ont poussé à poursuivre ?
S. K. : Ce qui est émotionnel, dramatique me touche profondément dans l’opéra. Arriver à entrer dans la profondeur de l’interprétation m’a toujours guidé et procuré de grandes joies. Au début, je ne savais pas comment je faisais, j’avais une voix d’enfant, basée sur l’instinct. Plus tard, vers quatorze, quinze ans, Hubert Maheu, qui dirigeait l’espace culturel français à Lubumbashi m’a invité à chanter à la Halle de l’Étoile et m’a mis en relation avec des gens du métier. C’est alors que j’ai représenté le Katanga, la province où je suis né, au concours des jeunes talents organisé à Kinshasa. C’est un moment inoubliable : être pour la première fois sur la scène kinoise ! Il y avait de la rumba, du hip-hop, toute cette chaleur congolaise, et j’étais le seul à faire du classique. L’ambiance montait. Quand ce fut mon tour, j’ai chanté a cappella un morceau écrit à Lumumbashi avec deux amis pianistes.
Le public à commencé a crié « bima ! bima ! », qui veut dire « va t’en ! » (rires). Je sentais l’adrénaline monter en moi pour que je chante encore mieux. Au deuxième morceau, ce fut calme. C’était une chanson, accompagnée au piano, qui parlait des enfants en otage (à l’est du Congo, durant la guerre, les écoles étaient brûlées, les terrains de jeux étaient transformés en cimetière). J’avais travaillé avec mon pianiste en lui demandant : « essaie de jouer en arpège, comme si tu plaçais des étoiles dans le ciel…» Je me sentais tout seul sur une planète étrange. Il y avait un silence incroyable et à la fin du morceau, les gens ont applaudi en pleurant.
La rencontre avec Faustin Linyekula
S. K. : C’est lors de la deuxième représentation du concours de jeunes talents que j’ai rencontré
Faustin Linyekula. J’ai participé à des ateliers avec lui à Lumumbashi et il m’a proposé de participer au spectacle Dinozord1 dans lequel je chantais des extraits du Requiem de Mozart.
Je venais de participer à un concert (à l’insu de ma famille qui voulait que j’arrête le chant pour obtenir mon bac) où j’interprétais le Benedictus et l’Introïtus du requiem en solo soprano… Pour Dinozord, nous sommes allés en création à Kisangani. Le KVS était coproducteur du spectacle. Jan Goossens est venu nous voir répéter avec la cantatrice américaine, Laura Claycomb, qui est plus que ma mère musicale.
B. D. : À ce moment-là, chantais-tu « à l’oreille » ou avais tu reçu une formation musicale ?