L’amitié des frères Thabet : un fiévreux colloque

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L’amitié des frères Thabet : un fiévreux colloque

Le 15 Oct 2015
ALI, conçu et interprété par Mathurin Bolze et hédi Thabet. Danseurs : Mathurin Bolze, hèdi Thabet, Artémis Stavridi, musiciens : Nidhal" "yahyaoui, Ioannis Niarchos, Stefanos Filos, Sofyann Ben youssef, création le 7 mars 2013, Festival xS - Théâtre National de Bruxelles. Photo prise aux Théâtre" "des Célestins en novembre 2013 lors de la création en soirée partagée avec le spectacle ALI. Photo Manon Valentin.
ALI, conçu et interprété par Mathurin Bolze et hédi Thabet. Danseurs : Mathurin Bolze, hèdi Thabet, Artémis Stavridi, musiciens : Nidhal" "yahyaoui, Ioannis Niarchos, Stefanos Filos, Sofyann Ben youssef, création le 7 mars 2013, Festival xS - Théâtre National de Bruxelles. Photo prise aux Théâtre" "des Célestins en novembre 2013 lors de la création en soirée partagée avec le spectacle ALI. Photo Manon Valentin.

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ALI, conçu et interprété par Mathurin Bolze et hédi Thabet. Danseurs : Mathurin Bolze, hèdi Thabet, Artémis Stavridi, musiciens : Nidhal" "yahyaoui, Ioannis Niarchos, Stefanos Filos, Sofyann Ben youssef, création le 7 mars 2013, Festival xS - Théâtre National de Bruxelles. Photo prise aux Théâtre" "des Célestins en novembre 2013 lors de la création en soirée partagée avec le spectacle ALI. Photo Manon Valentin.
ALI, conçu et interprété par Mathurin Bolze et hédi Thabet. Danseurs : Mathurin Bolze, hèdi Thabet, Artémis Stavridi, musiciens : Nidhal" "yahyaoui, Ioannis Niarchos, Stefanos Filos, Sofyann Ben youssef, création le 7 mars 2013, Festival xS - Théâtre National de Bruxelles. Photo prise aux Théâtre" "des Célestins en novembre 2013 lors de la création en soirée partagée avec le spectacle ALI. Photo Manon Valentin.
Article publié pour le numéro
126 – 127

EN MAI 2015, le théâtre du Rond-Point accueil­lait un trip­tyque, asso­ciant deux spec­ta­cles créés à sept ans d’intervalle – fruit de la ren­con­tre entre les frères Ali et hèdi Tha­bet, choré­graphes et danseurs implan­tés à Brux­elles, et Math­urin Bolze, de la com­pag­nie lyon­naise MPTA1, que venait artic­uler un moment musi­cal.

D’abord, sous l’égide de René Char, un trio for­mi­da­ble­ment inti­t­ulé NOUS SOMMES PAREILS À CES CRAPAUDS QUI DANS L’AUSTÈRE NUIT DES MARAIS S’APPELLENT ET NE SE VOIENT PAS, PLOYANT À LEUR CRI D’AMOUR TOUTE LA FATALITÉ DE L’UNIVERS2 : la fureur et le mys­tère au bout de cinq pieds3. oui, cinq pieds, et deux béquilles. Hèdi est uni­jam­biste, mais cela ne change rien, c’est-à-dire qu’il danse avec autant d’agilité et de grâce que ses parte­naires. Et cela change tout, bien sûr, car notre regard est d’abord hap­pé par cette incom­préhen­si­ble puis­sance de l’étrange et de la volon­té. Mais la grande force des con­cep­teurs est d’avoir fait en sorte que notre regard se déporte et ne demeure pas médusé par l’étonnement devant cette « sym­biose entre corps impar­faits » dont par­le Pierre Notte dans le syn­op­sis du spec­ta­cle4. on peut d’ailleurs ques­tion­ner la notion d’imperfection ici, tant les corps sem­blent rem­plir exacte­ment l’espace néces­saire à leur déploiement et au sens véhiculé. Le « hand­i­cap » de hèdi est sub­limé en quelque chose qui va bien au-delà de l’étonnement sus­cité par la per­for­mance. Pour lui, il s’agit de trou­ver « com­ment dis­pos­er les choses pour annuler le plus vite pos­si­ble cette ques­tion, qui paraît fon­da­men­tale et qui n’a en fait rien de fon­da­men­tal. ou alors, elle l’est pour tout un cha­cun, c’est-à-dire que l’infirmité est une réal­ité pour cha­cun, qu’elle soit vis­i­ble ou cachée. Et ce qui importe, c’est com­ment nous nous révélons par rap­port à cette infir­mité, com­ment nous la tra­ver­sons, la dan­sons, la ques­tion­nons »5. D’ailleurs ce qui nous est don­né à voir est, d’abord et avant tout, de la danse de très haut niveau, une danse certes acro­ba­tique (la for­ma­tion cir­cassi­enne des danseurs est évi­dente) mais aus­si pro­fondé­ment belle ; surtout, une danse où le moin­dre geste porte un sens véri­ta­ble, plein et sincère. Ce sens et cette néces­sité qu’hèdi, choi­sis­sant vers l’âge de trente ans de revenir à la scène, sa « langue mater­nelle »6, n’a pas eu d’autre choix que de met­tre dans chaque déci­sion scénique. Foin des con­cepts abstraits : l’art des frères Tha­bet et de Math­urin Bolze est con­cret, direct, généreux. Et boulever­sant.

Ce pre­mier volet explore la thé­ma­tique du mariage, dans une démarche qu’Ali Tha­bet décrit comme un « désir de détri­cot­er sur un plan scénique, métaphorique et poé­tique cette manière dont les gens se mari­ent pour solidifier leurs con­tra­dic­tions affec­tives »7. Le « plus beau des mariages », explicite ironique­ment Ali, ce sont les épou­sailles comme volon­té (réduc­trice) de « résoudre » l’amour, de le sim­plifier, d’en gom­mer les ambiguïtés et les para­dox­es. C’est bien l’enjeu pour les artistes au sein de ce spec­ta­cle : tra­vers­er les con­tra­dic­tions de l’âme humaine dans sa rela­tion à l’autre qui est aus­si je. Et en effet l’on voit tout en quelques mou­ve­ments : l’engagement, l’amour, l’ennui, la ten­dresse, la vio­lence, la jalousie… pour finir sur l’amitié. Car la rela­tion entre le mari et l’amant n’est pas que de rival­ité : elle décline la com­plex­ité des rap­ports humains, et il est des moments où leur rela­tion devient com­plice, voire équiv­oque. Les rap­ports conflictuels entre l’amour et l’amitié sont aus­si mon­trés ici : c’est bien l’ami qui s’interpose dans la rela­tion amoureuse, comme lorsque hèdi pose le pied sur la robe blanche, inter­rompant sym­bol­ique­ment la « bonne marche » du cou­ple de jeunes mar­iés. Il y a enfin l’amitié qui survit à la trahi­son et aux rival­ités, le sou­tien indé­fectible que représente l’autre, même en temps de conflit. on assiste donc à une véri­ta­ble tra­duc­tion choré­graphique de cette palette psy­chologique – Ali Tha­bet ne récuse pas le terme, et invoque Niet­zsche qui est pour lui l’inventeur véri­ta­ble de la psy­cholo­gie. Niet­zsche, qui ouvri­ra hèdi à la lit­téra­ture et à la philoso­phie, et pour qui l’ami est à la fois celui qui sauve de soi : « Je et moi sont tou­jours en trop fiévreux col­loque ; com­ment serait-ce sup­port­able, s’il n’y avait un ami ? »8 et le refletde soi : « de ton ami quel est donc le vis­age ? Dans un miroir grossier et impar­fait, c’est ton pro­pre vis­age. »9

  1. « Les mains, les pieds et la tête aus­si », com­pag­nie fondée à Lyon en 2001. ↩︎
  2. Le titre est emprun­té à René Char ; il s’agit de l’aphorisme no 129 des « Feuil­lets d’hypnos », in FUREUR ET MYSTÈRE, Gal­li­mard, 1948. Créé en 2013, NOUS SOMMES PAREILS… est présen­té comme le pre­mier volet au Rond-Point, ALI (2008) arrivant ensuite. Toute­fois l’ordre a pu être inver­sé en d’autres cir­con­stances. ↩︎
  3. Ceux d’Artemis Stavri­di (Lai­da Aldaz Arri­eta pour les représen­ta­tions au Rond- Point), Math­urin Bolze et hèdi Tha­bet. ↩︎
  4. Voir sur le site du théâtre du Rond-Point. ↩︎
  5. Entre­tien télé­phonique avec hèdi Tha­bet, 31 juil­let 2015. ↩︎
  6. Idem. ↩︎
  7. Entre­tien télé­phonique avec Ali Tha­bet, 23 juil­let 2015. ↩︎
  8. Niet­zsche, « De l’ami », AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, Gal­li­mard, Folio/Essais, 1971 pour la tra­duc­tion, p. 76. ↩︎
  9. Ibid., p. 77. ↩︎
  10. Entre­tien télé­phonique avec Ali Tha­bet, 23 juil­let 2015. ↩︎
  11. Entre­tien télé­phonique avec hèdi Tha­bet, 31 juil­let 2015. ↩︎
  12. Idem. ↩︎
  13. Entre­tien télé­phonique avec Ali Tha­bet, 23 juil­let 2015. ↩︎
  14. Entre­tien télé­phonique avec hèdi Tha­bet, 31 juil­let 2015. ↩︎

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Ali Thabet
Hèdi Thabet
Mathurin Bolze
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Emmanuelle Favier
Auteure de théâtre (Laissons les cicatrices), de nouvelles (Confession des genres) et de poésie (Le Point...Plus d'info
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