Le point de départ des spectacles de Berlin se situe généralement dans une ville ou une région de la planète. Fondé en 2003 par Bart Baele, Yves Degryse et Caroline Rochlitz, le collectif anversois se caractérise par l’aspect documentaire et interdisciplinaire de son approche. Ensemble, ils ont entamé un cycle intitulé Holocène1, avec les spectacles Jerusalem, Iqaluit, Moscow, puis le cycle Horror Vacui avec Tagjish, Land’s End et Perhap’s All The Dragons. C’est avec la journaliste Cathy Blisson qu’ils ont choisi de poser leur regard et leur caméra sur Zvizdal et ses deux habitants. Portait filmique, performance théâtrale sur multi-écrans… Zvizdal s’attache à l’existence de Nadia et Pétro, dans une banlieue de Tchernobyl. Inspirés par leur vie hors norme en terre contaminée, le groupe Berlin et Cathy Blisson ont réalisé un projet entre théâtre, installation et documentaire – d’une profondeur abyssale.
Cette création, qu’on a pu voir à Bruxelles dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts aussi bien qu’au Centquatre-Paris, pendant le Festival d’automne 2016, a laissé sans voix bon nombre de spectateurs. Touchés, émus, respectueux, affolés…, difficile pour le public de sortir indemne de ce récit tragique et réel. Impossible de ne pas être en empathie avec ce couple de vieillards du bout du monde, qui continue à vivre comme si de rien n’était, dans une nature étonnamment luxuriante. Robinsons Crusoé d’un cataclysme invisible (la radioactivité ne se décèle pas à l’œil nu), Nadia et Pétro vivent reclus dans un territoire abandonné des humains. C’est après plusieurs voyages en Ukraine que Cathy Blisson a rencontré (par hasard) ce couple incroyable qui vit dans la zone interdite de Tchernobyl. Critique dans les champs de la création contemporaine hybride, à la croisée des disciplines scéniques et autres arts visuels2, Cathy Blisson connaissait la quasi-totalité des spectacles du collectif Berlin. Elle poursuit aujourd’hui un travail d’écriture en tant que dramaturge auprès de plusieurs compagnies et s’attelle à des projets personnels d’écriture textuelle et sonore, notamment avec Anne Quentin (Collectif &.). Quand elle a rencontré pour la première fois Yves Degryse et Bart Baele, après un de leurs spectacles programmé au théâtre de la Cité Internationale, c’était sans arrière-pensée : « Nous avons commencé à discuter et j’ai évoqué ma rencontre avec Nadia et Pétro, qui vivaient comme seuls au monde dans un village déserté car soumis aux radiations. J’avais envie d’en faire un projet et il (Yves) m’a demandé si j’avais une équipe… et c’est parti comme cela. Bart et Yves ont cette capacité à rentrer par la petite porte dans les grandes histoires ou à voir les grandes choses dans de petites histoires, sans être intrusifs. Le premier tournage a commencé en 2011. »3
Pour mémoire, cela fait déjà une trentaine d’années (26 avril 1986) que le plus grave accident nucléaire (avec Fukushima) a eu lieu, dans cette ville du nord de Kiev, en Ukraine. Dans les mois qui ont suivi la catastrophe, trois cent cinquante mille personnes ont été déplacées, des dizaines de villages rasés et des zones d’exclusion délimitées (voir Pierre Le Hir, « Retour à Tchernobyl », Le Monde du 25 – 04-16). Après plusieurs voyages dans cette région, Cathy Blisson a pu pénétrer dans la zone interdite grâce à un ami photographe et a découvert les nonagénaires : deux vieux magnifiques aux gueules burinées. Solaires, malgré leurs bouches édentées et leurs silhouettes amaigries et bancales. Nadia, dite Baba ou La Vieille – par celui qu’elle nomme le Vieux –, avance en boitant, miraculeusement.