Alors que Transquinquennal tire sa longue révérence, donnons à ces lignes le parfum hagiographique pré-posthume qui convient et profitons-en pour clarifier un point à l’adresse de celui qui, un jour, me mit plus bas que terre.
Cher Transquinquennal, c’était à une soirée où j’étais arrivé assez tard, une soirée qui avait fait le tri entre ceux qui étaient déjà partis et ceux qui allaient rester longtemps encore. J’y avais été entraîné par quelqu’un que je connaissais peu et dont le goût des mélanges et des rencontres insolites avait fait de moi une belle prise. La pénurie d’alcool menaçait et mon intermédiaire s’est tout de suite proposé de partir à la recherche de nouvelles munitions. Je me suis retrouvé donc à l’attendre, un peu à l’écart, assis dans un fauteuil trop bas, où j’ai entamé l’étude méditative de l’assemblée. Il y avait là essentiellement des gens du métier ou d’aspirants au métier, tous bien plus jeunes que moi. Un petit groupe se démarquait par son agitation. De dos, j’apercevais le bout de barbe de celui qui semblait être le leader et qui finit par prononcer ton nom. Apparemment celui-ci avait travaillé avec toi. Je n’ai pas réagi tout de suite. Depuis que je t’ai quitté il y a une dizaine d’années, j’ai veillé à me montrer discret à ton sujet. Entre ceux qui croient toujours que je fais partie de toi, ceux qui savent que je t’ai quitté et qui m’en parlent, positivement ou non, plus « librement » depuis, j’ai appris à ne pas la ramener, à n’encombrer personne avec mon ancienne appartenance, à ne pas radoter sur cette part pourtant la plus constitutive de mon parcours professionnel. Mais le groupe relançait le barbu et l’énonciation de ton nom s’est multipliée. Alors, sans doute à cause de l’alcool et peut-être parce que j’avais besoin de me sentir un peu exister dans cette soirée où je ne connaissais personne, j’ai fini par lâcher : « C’est moi qui lui ai donné son nom. » Le petit groupe s’est retourné. « Quel nom ? » a dit le barbu. — Transquinquennal. — Ah bon ? — Oui, Transquinquennal. C’est moi qui l’ai porté, avec Bernard, sur les fonts baptismaux du Moniteur belge. » Le barbu a cessé de cligner les yeux pour me fixer d’un regard vide, et j’ai compris tout de suite mon erreur. Il ne me connaissait pas. Vrai ou faux, ce que j’affirmais, ne valait rien. Soit j’étais mythomane, soit j’étais pathétique, ou alors les deux à la fois. J’ai fait un signe vague de la main pour qu’on ne s’attarde plus sur ma personne, et je me suis rencogné dans ma méditation.
Avec Norman c’est comme normal, à une lettre près, Clément Thirion, jeune metteur en scène belge, signe sa première production…