Il m’a toujours semblé que si je faisais du théâtre, c’était pour être un autre, pour laisser parler l’Autre, d’où qu’il vienne à la rencontre de celui qui le désirait, comme on désire un costume, une seconde peau, comme on brûle d’embrasser et d’être embrassé. Enfant avec un arc en bandoulière et une plume sur la tête, traînant les sabots trop grands des adultes, habillé des vêtements de sa mère, fasciné par le corps de l’acteur ou du danseur brillant de tous les attraits mystérieux de la persona, le voici traducteur et comédien, et dès ses premiers pas, il entre à son tour dans la parole d’un autre, dans la voix d’un autre.
Merveille d’un art où la force vous vient de plus loin que vous et vous porte bien au-delà de vous. Merveille d’un art où l’acteur n’est que le remplaçant d’un soir, celui qui devient, par le mystère d’une possession qui le dépasse, le comédien le plus légitime : étranger à celui qu’il doit jouer, nouveau dans un rôle millénaire, voici qu’un sang neuf irrigue ses veines, qu’un souffle frais le fait respirer autrement, alors qu’il porte le même masque, dit les mêmes mots, arbore les mêmes mains peintes que tous ceux qui se sont succédé à sa place.
Corps fabriqué de plusieurs éléments corporels : l’un parle, l’autre bouge les bras, un troisième tient le masque, comme une marionnette manipulée à plusieurs. Que l’acteur réunisse la voix, le geste, le pas et le masque est un choix qui ne supprime pas cette multiplicité.
Synchronie du vivant,
synthèse des sens, les rouages
artificiels de la machine actuante
se contredisent dans un perpétuel
devenir-autre de toutes ses parties.