En 1981, à quelques jours des présidentielles françaises, René Kalisky disparaissait, emporté par un cancer foudroyant. Sept ans plus tard, à quelques semaines de la répétition du même rituel démocratique, cet ensemble d’articles entourant un de ses textes essentiels, toujours inédit à ce jour, nous confronte à nouveau avec l’actualité intacte, sinon renforcée, de son message, avec la nouveauté plus fertile que jamais de son art. René Kalisky aurait éprouvé une grande joie à la nouvelle de la désignation de François Mitterrand comme chef de l’Etat, issue d’un scrutin qu’il appelait de tous ses vœux, comme une remise en route de !‘Histoire, dont toute son œuvre dénonce le grippage, le hoquet dérisoire. Au cours de ses dernières semaines de validité, il était animé d’une sorte d’ébriété à la perspective encore hypothétique de cette élection.
Jusqu’à ce que la maladie ne le mobilise pour un autre combat, intensément personnel celui-là, dont il ne sortirait pas vivant.
Un septennat est passé depuis, au cours duquel son œuvre a connu une reconnaissance dont ses proches, ses amis, ses admirateurs, auraient tant voulu qu’il en fût le témoin. Il y eut notamment l’étonnante carrière de sa pièce ultime, FALSCH, magistralement créée par Antoine Vitez à Chaillot, transposée à l’écran par les frères Dardenne, dont le film est en train de faire le tour du monde et, surtout, montée en Allemagne avec un extraordinaire succès, qui laisse présager que le reste de son théâtre va susciter dans ce pays une curiosité grandissante. Avec à la fois une liberté et une assurance progressives, les hommes de théâtre, francophones et autres, se sont avisés au cours de ces années que René Kalisky était effectivement l’un des dramaturges majeurs de ce temps, par l’ambition de ses thèmes, l’audace de ses engagements, la hardiesse de son renouvellement des formes théâtrales. Rompant résolument avec une esthétique du manque et du mutisme (Beckett et sa descendance, y compris Heiner Müller), avec une dérision qui cache mal son conservatisme foncier (l’absurde et ses avatars), Kalisky impose un langage qui ose attaquer de front les grandes questions du siècle. Il oppose à une époque complexe entre toutes un édifice dramatique et langagier qui est en mesure d’intégrer ses lumières et ses taches aveugles, ses élans et ses vertiges. Kalisky a su inventer un nouveau baroquisme à l’usage de ses contemporains.
A l’heure où l’Europe est au centre de tous les débats, où l’on voit les banquiers et les marchands anticiper son élaboration effective, il est heureux que paraisse enfin la transposition scénique que Kalisky composa, il y a quinze ans, sous le coup de la lecture du roman de Romain Gary, d’EUROPA, le livre peut-être le plus mal connu et le plus mal compris de l’auteur d’EDUCATION EUROPÉENNE. Kalisky avait immédiatement senti ce qui destinait ce récit à la malédiction : la violence sarcastique avec laquelle il refusait d’occulter le meurtre contre l’humanité sur lequel la communauté du cap occidental de l’Asie entreprendrait, au lendemain de la tourmente, de se rassembler.
Comme Marc Quaghebeur l’analyse admirablement dans son étude qui complète definitivement l’œuvre proprement dite, EUROPA de Gary-Kalisky met en jeu les leurres de l’humanisme où l’on prétend voir les fondations de notre culture, sous la forme de ce que l’essayiste appelle un « requiem carnavalesque ». Cette mise en garde-là n’est pas la moindre de celles que Kalisky nous a léguées. Et sa publication n’aurait pu tomber plus à point nommé.
René Kalisky, un septennat plus tard
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