À l’ombre de Goldoni
J’aime le théâtre de Goldoni avec passion. C’est pour moi un modèle constant d’écriture. La démarche de cet homme est fraternelle pour un homme de théâtre en quête de modèle : inventer un théâtre avec une troupe. C’est le théâtre que j’aime, artisanal, qui laisse voir ses charnières. On sent de quel bois il est fait. Les acteurs qui l’ont créé sont encore vivants derrière les mots. De pièces en pièces, terres encore inconnues, même en Italie, se mêlent étroitement les vices et les vertus, l’honneur et la dérision, la malice et la vacherie, la bienveillance et la tendresse enfin dont nous avons tant besoin aujourd’hui pour vivre. Toutes ses pièces, il les avait en tête quand il écrivit UNE DES DERNIÈRES SOIRÉES DE CARNAVAL. Il sait que c’est la dernière écrite à Venise pour des acteurs qu’il connaît, pour la ville qu’il chérit et qu’il quitte à contrecœur comme Anzoletto le personnage derrière lequel il se cache. Un long silence suivra, celui du voyage à Paris, puis une nouvelle vie, celle de l’exil d’où jamais il ne reviendra. Au théâtre aussi, on quitte des terres connues, familières où l’on ne revient jamais. Que de « dernières » dont on se dit qu’elles ne seront pas les dernières, qu’on y reviendra. On fait une grande fête et quelque chose meurt définitivement : le plaisir simple d’une représentation. (…)
Jean-Claude Penchenat
L’UNE DES DERNIÈRES SOIRÉES DE CARNAVAL est une comédie qui peut sembler, à première vue, déroutante car derrière un argument apparemment d’une simplicité inattendue, se profile un « je ne sais quoi », et un « presque rien » qui confèrent une étonnante modernité dramaturgique à cette histoire de tisserands réunis autour d’une table de jeu et d’un bon repas pour fêter la fin du Carnaval : pas de péripéties, ni de coups de théâtre, mais un entrecroisement subtil de rapports et d’échanges humains à l’intérieur d’un groupe homogène. L’un des membres de ce groupe, le dessinateur Anzoletto, doit quitter Venise pour aller travailler à Moscou, où il est invité par des artisans italiens.