Les présidentes

Les présidentes

Trois scènes

Le 15 Oct 1995

A

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Article publié pour le numéro
Werner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives ThéâtralesWerner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives Théâtrales
49
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Cette pièce racon­te que la terre est un disque : le soleil se lève et se couche, parce qu’il tourne autour de la terre. Elle racon­te que rien ne se veut fonc­tion­nel. que tout ici n’est que dis­trac­tion.

Le décor :
Au cen­tre du plateau se trou­ve une petite cui­sine-séjour, à droite et à gauche, il fait noir comme dans un four. Cette cui­sine est bondée jusqu’à la voûte de bric-à-brac (pho­tos, sou­venirs, beau­coup de babi­oles religieuses images de cal­en­dri­er encadrées, vas­es, etc. ), pour­tant tout est bien rangé. Pour ce qui est de la dis­po­si­tion. le bric-à-brac doit absol­u­ment faire penser à un musée. Un petit espace irréel donc, qu’on peut cepen­dant iden­ti­fi­er comme une cui­sine-séjour de la toute petite bour­geoisie

La langue :
Les Prési­dentes sont la langue qu’elles pro­duisent. Se pro­duire (se clar­i­fi­er) est du tra­vail, donc au bout du compte tout est résis­tance. Cet effort doit être per­cep­ti­ble dans la pièce.


Les Prési­dentes :

ERNA
Retraitée, touchant le min­i­mum vieil­lesse. Robe-tabli­er. chaus­sures orthopédiques, elle porte une énorme toque de four­rure grotesque sur la tête.

GRETE
Retraitée. Assez grosse. coif­fure de fusée sur la tête. habil­lée sans goût, pleine de bijoux de pacotille, très maquil­lée.

MARIE
Elle a les habits les plus pau­vres, cheveux coif­fés
en arrière, elle porte des chaus­sures de mon­tagne beau­coup trop grandes : au début elle donne l’im­pres­sion d’être un peu débile. Marie est bien plus jeune qu’Er­na et Grete, on le voit à ses gestes sou­vent febriles.

Dans la troisième scène :
les ORIGINAL HINTERLADER SEELENTRÖSTER.

La créa­tion de la pièce dans cette tra­duc­tion a eu lieu le 6 févri­er 1995 au Théâtre Varia.

Avec
Janine God­i­nas, ERNA
Pas­cale Salkin, GRETE
Sophia Leboutte, MARIE

Mise en scène
Michel Dezo­teux

Décor
Johan Dae­nen

Cos­tumes
Marylis Duvivi­er

Lumières
Jean-Philippe Mon­teiro

Texte français Mike Sens et Michael Bug­dahn.

Première scène

Pen­dant que le pub­lic s’in­stalle, on entend la retrans­mis­sion d’une messe, que le Pape célèbre avec une masse quel­conque. L’émis­sion de télévi­sion se ter­mine et le rideau se lève.

La cui­sine-séjour grotesque d’Er­na. Erna éteint la télévi­sion. Marie cherche quelque chose sous la table. Grete est assise à la table.

ERNA
Tant de gens.
Tant de gens se sont réu­nis et sont restés ensem­ble pour for­mer une com­mu­nauté aux pieds du Saint Père.

GRETE
Et les images si mer­veilleuses.
Les couleurs aus­si belles que dans la vie.

ERNA
Une sérénité émou­vante s’empare des gens quand ils sont aus­si nom­breux. La paix est le sens de la vie, et la vie donne un sens à l’hu­man­ité.

GRETE
(Soulève la nappe et par­le en-dessous de la table : ) Laisse tomber ce bou­ton, Marie, je n’y tiens pas tant que ça, à ce bou­ton. Oublie donc ce bou­ton et viens t’asseoir avec nous.
(À Erna:) C’é­tait très sen­sé de ta part, Erna, d’avoir acquis cette toque de four­rure et ce téléviseur en couleurs. Main­tenant la jouis­sance entre égale­ment d a n s ton foy­er. Tu dois à présent te ren­dre à la vie, Erna, pour que la vie
puisse jouir de toi.

ERNA
Oui sans doute, mais c’est facile à dire. En fait, il est bien dif­fi­cile de jouir de la vie quand on a l’é­pargne dans le sang. Mais il faut bien qu’un beau jour dans la vie, le bon­heur embrasse égale­ment la per­son­ne con­damnée à tou­jours net­toy­er la saleté des autres.
(Erna se met devant la glace.) Cette toque de four­rure, je l’ai trou­vée près de la décharge, il y a un an. Mais atten­tion, n’allez pas croire que quelqu’un l’a sim­ple­ment jetée, cette toque, elle est bien trop pré­cieuse pour ça. Sûre­ment des jeunes gens méchants ont joué un mau­vais tour à cette toque.
(Elle tourne le dos à la glace et s’assied.) Qu’est-ce qu’elle était sale au début, cette toque de four­rure, je ne te dis pas ; trois heures et demie, je me suis don­né du mal avant de remet­tre cette toque à la police.
(Grete s’ap­prête à véri­fi­er la four­rure de la toque avec deux doigts. Erna se baisse pour lui faciliter la tâche.)
Et à présent, un an plus tard, per­son­ne encore ne s’est man­i­festé pour la toque. Et au bureau des objets trou­vés, il y avait un agent de police si gen­til, il m’a dit : vous êtes une femme sim­ple, car vous êtes hon­nête. Met­tez-vous donc cette toque sous le sapin de Noël, pour que vous aus­si, vous puissiez avoir le cœur en fête pour une fois. Je ne m’ac-
corde vrai­ment pas beau­coup dans la vie, mais là j’é­tais vrai­ment con­tente.

GRETE
Ne t’acharne pas à être aus­si économe que ça, Erna, car tout de même, tu n’as pas si peu d’ar­gent que ça. Et la vie passe finale­ment beau­coup plus vite qu’on imag­ine.

ERNA
Je me suis quand même accordé le poste de télévi­sion, même si ce poste de télévi­sion n’est qu’un poste de télévi­sion d’oc­ca­sion. C’est la seule chose que je me suis accordée de ma vie pour tous mes efforts. Tout le reste que j’ai eu dans ma vie, je l’ai obtenu en me pri­vant de tout, y com­pris mon enfant, Her­rmann. Quand on sait économiser, on s’or­gan­ise mieux dans la vie. On peut faire des économies sur tout. Au lieu d’un fil­tre à café par exem­ple, on peut aus­si bien utilis­er du papi­er cul, et à la place du papi­er cul on peut met­tre du papi­er jour­nal, qu’on ramasse dans la cage d’escalier, là où se trou­ve le vieux papi­er des­tiné au recy­clage.., D’ailleurs, en ce qui me con­cerne, je me passe déjà
com­plète­ment de café, car heureuse­ment ça ne me réus­sit absol­u­ment pas, le café.
Mais Her­rmann, lui, refuse de bouf­fer ses sand­wich­es au pâté de foie, s’il ne peut pas les descen­dre avec un petit café noir, comme il dit. Comme si les sand­wich­es au pâté de foie étaient des sell­es humaines et son ven­tre les toi­lettes.

MARIE
(En-dessous de la table.) À mon avis, tu as tort, Erna, d’être si économe. Tu es économe à un point, c’est beau­coup trop exagéré. Le bon Dieu ne veut pas que les gens bien ail­lent mal.

ERNA
(Furieuse, soulève la nappe.) Tu as beau par­ler, ma chère petite Marie, toi, tu as tou­jours été seule, sans lien véri­ta­ble à quoi que ce soit. Tu t’es tou­jours promenée à tra­vers le monde, quand on t’a don­né du temps libre dans ta vie. Tu es déjà allée à Lour­des, à Med­ju­gorie et deux fois à Mari­azell. Tu n’es pas respon­s­able d’un fils rené­gat.

GRETE
Mais Her­rmann est déjà un homme mas­culin.
(Marie appa­raît, s’assied, hausse les épaules, per­plexe, puis elle com­mence
à bal­ancer son buste en avant et en arrière, de façon ryth­mique.)

ERNA
C’est un vrai homme, ça oui. Les bonnes femmes se retour­nent toutes en voy­ant mon Her­rmann, elles n’ont vrai­ment pas honte de nos jours. Mais lui, il renie tout ce que la vie a de beau et de sen­sé. Là-haut, je dis tou­jours à Her­mann, là-haut je met­trai un jour les pho­tos de mes petits-enfants. (Elle indique deux tâch­es blanch­es rec­tan­gu­laires sur le mur.) Mais il refuse de me faire ce plaisir, il ne me fera pas de petits-enfants. Tan­dis qu’autre­fois, je gar­dais cinq petites places de libres pour les pho­tos des petits-enfants. Main­tenant j’en ai déjà util­isé trois, du moins pour l’in­stant, pour que Her­mann ait moins peur. Et dire qu’il lui serait si facile d’avoir des rap­ports par les temps qui courent. De nos jours les gens n’arrê­tent pas d’avoir des rap­ports toute la journée. En plus, Her­rmann admet qu’il pour­rait avoir des rap­ports quand il le voudra, mais juste­ment il fait exprès de ne jamais en avoir, des rap­ports, parce que de tels rap­ports pour­raient men­er à une vraie grossesse et tout compte fait une chose pareille don­nerait éventuelle­ ment un petit enfant.

GRETE
Arrête, Erna, de toute façon, il est si grand et si fringant, ton Her­rmann. Celle qu’il lui faut le trou­vera bien un jour.

ERNA
Oui, c’est mon seul espoir, pour le temps qui me reste à vivre, que le Seigneur prenne mon Her­rmann en main.
(Lar­moy­ante.) Il voy­age beau­coup, Her­rmann, en t;tnt que représen­tant, donc il pour­rait bien se pass­er quelque chose, mais alors il m’écrit tou­jours ces affreuses cartes, devant on voit un beau paysage et der­rière il écrit qu’il aurait encore pu avoir des rap­ports, mais que juste­ment pour ça, une fois de plus, il n’a pas entre­pris des rap­ports. (Pleure.)

GRETE
(Tape Erna sur le dos pour la calmer.) Ecoute, Erna, quand la vraie vien­dra, alors elle chopera tout simple­ ment ton Her­rmann pour lui don­ner un petit bisou. Et les rap­ports suiv­ront alors tout seuls. (Elle chante.) L’aaamour, l’aaamour est un don du… (Elle s’ar­rête brusque­ment.)
Mais qu’est-ce que tu veux que je dise moi, il faut tout d’abord que tu con­sid­ères mon des­tin à moi, Erna. Au moins ton Her­rmann pense encore à toi et t’en­voie tou­jours ses rap­ports, mais moi ? Ma fille a émi­gré en Aus­tralie voilà neuf ans déjà, mais avant elle s’est encore fait vider comme une poule, les ovaires et tout le reste, pré­cisé­ment tout ce qu’il faut pour faire des petits­ enfants. Une seule carte en neuf ans. Je suis bien arrivée et je me porte à mer­veille, voilà ce qu’elle m’a écrit, il y a huit ans et demi. A présent, il ne me reste plus que Lydia.

ERNA
Her­rmann n’est tout de même pas obligé d’écrire sans cesse des cartes pareilles, comme quoi il veut cess­er les rap­ports pour de bon, ou bien qu’il se tranchera le canal déférent.

GRETE
Oui oui, Han­nelore, ma fille, elle aus­si est déjà une vieille emmerdeuse main­tenant, presque quar­ante ans déjà. Elle aus­si a tou­jours eu un comporte­ment bizarre, presque un petit peu comme ton Her­rmann. Han­nelore aus­si a sou­vent oublié qu’elle n’é­tait pas la fille de gens franche­ment mau­vais. Et com­bi­en de fois n’a-t-elle pas agi comme si elle n’avait µas reçu d’é­d­u­ca­tion. Par­fois elle cas­sait un car­reau avec son vis­age et en µlus elle avalait tranquille­ menl les éclats de verre, tou­jours en riant à gorge déployée quand elle se coupa les joues er les seins. Et quand je dis­ais alors : voilà, Lolo, voilà que tu ressem­bles vrai­ment à une tru­ie déchi­quetée, les hommes vont se dis­put­er pour toi ; alors là, elle se cal­mait tou­jours, se met­tait à sucer son pouce, pour ensuite dormir trente heures d’af­filée.

ERNA
Oui, ain­si va la vie humaine. Tout au long de sa vie on s’ef­force à men­er une vie cor­recte, el puis ses pro­pres enfants à soi se détour­nent de la vie et de l’hu­man­ité.

GRETE
Eh bien, qu’elle trou­ve son bon­heur là-bas, Han­nelore, en Aus­tralie, même sans ovaires et tout le reste, s’il le faut.

ERNA
Her­rmann est étranger à tout. Quand il voit quelqu’un, alors il lui faut tout de suite boire un petit verre et fumer une cig­a­rette, autrement il attrape le can­cer des yeux, comme il dit. Her­rmann a hor­reur de tous les êtres humains, c’est juste­ment pour ça qu’il est devenu représen­tant, parce que de cette manière il est obligé de ren­con­tr­er beau­coup de gens. Voilà ce qui lui pro­cure chaque jour le pré­texte pour ren­tr­er tous les jours ivre à la mai­son.

MARIE
Mais beau­coup d’hommes se sont trans­for­més en saints de cette manière, en reti­rant leur vis­age du monde durant leur jeunesse.

ERNA
Jeunesse ? Her­rmann a presque quar­ante ans tout de même.

MARIE
Chaque jour, l’homme peut subir un choc intérieur et tout d’un coup le bou­chon saute.

ERNA

Chez Her­rmann, il y a bien plus qu’un petit bou­chon qui devrait sauter, là c’est car­ré­ment toute une usine de bou­chons. Il est inca­pable de sup­port­er l’homme qu’il porte en lui-même. Quand il se rince la fig­ure devant l’évi­er, je dois d’abord cou­vrir la glace avec une servi­ette. Quand il se rase, il découpe par­fois la moitié de son vis­age, parce qu’il refuse de se servir d’un miroir. Un tel miroir, dit-il, est un beau salaud. Ou bien dans la rue, les vit­rines ren­voient les images, et voilà que Her­rmann voit Her­rmann,· ça le fait vom­ir sur-le­ champ, s’il n’est pas ivre. Et tous les jours je suis oblig­ée d’é­couter ce genre de ehose, chaque mol qu’il dit et chaque cuite qu’il prend me rap­proche de la mort.

MARIE
Sou­vent ce sont juste­ment ces gens­ là qui sont choi­sis par un Jésus ou une Vierge Marie pleine de grâce, que Dieu te pro­tège. Et d’un jour à l’autre le sacré sort du cœur malade dans l’âme. Tel que Saül s’est  trans­for­mé en Paul, Her­rmann se trans­formera peut-être en cler­gy­man.

ERNA
Mon plus grand espoir serait qu’un change­ment de vie rad­i­cal puisse s’opér­er à l’in­térieur de Her­rmann. Mais que peut-on atten­dre d’un homme qui se détourne chaque jour tout au long de la journée de tout ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ? Et quand je lui dis quelques mots gen­tils, il rit tout sim­ple­ment et boit une gorgée de diges­tif, ou une gorgée d’eau-de-vie.

GRETE
La plu­part des gens ne com­pren­nent rien à la vie. Quand la vie s’adresse aux gens et leur fait part d’une bonne mis­sion, alors les gens hochent seule­ment la tête et se com­por­tent comme des tra­vailleurs immi­grés. Pas com­pren­dre, pas com­pren­dre, qu’ils dis­ent tou­jours. Ma Lydia, c’est tout autre chose, Lydia, elle com­prend tout. Et quand elle déguste par­fois le tas de merde d’un autre, je lui dis tou­jours : Lydie, non, pas bouf­fer merde, non. Et tout de suite elle relève sa petite tête et fait oui avec. Un jour elle a vu un teck­el en bois faire ça, et l’a tout de suite appris.

MARIE
(Ent­hou­si­aste.) C’est vrai ?

GRETE
Oui, c’é­tait un de ces petits chiens sur roulettes qu’un enfant avait. Quand on tirait sur le fil, alors la petite queue remuait et la petite tête fai­sait tou­jours oui oui, tou­jours de haut en bas, tou­jours ouiouiouiouiouioui.
(Grete hoche fréné­tique­ment la tête, Marie rit de façon hys­térique.) Et ce teck­el était en bois peint, si beau, et exacte­ment de la même taille que ma Lydie, et il lui plai­sait tant. Et depuis, Lydie remue sa petite tête exacte­ment comme ça, quand je dis : Lydie, non, pas bouf­fer merde, non.
(Marie éclate à nou­veau de rire, mais se cache la bouche avec les deux mains.)

ERNA
Arrête, Grete, je n’en peux plus d’é­couter ces grossièretés. Tu sors tou­jours des mots si vul­gaires de la bouche. Avec toi, on n’en­tend que ça : merde, merde, merde. On peut aus­si bien dire petite crotte ou bien sell­es, et pas tou­jours : chi­er, chi­er, chi­er.

GRETE
Tu trou­ves tou­jours quelque chose à dire, tu n’ar­rêtes pas de tout cri­ti­quer, tu descends tous les gens tout au long de leur vie et ensuite tu t’é­tonnes que Her­rmann ne veut pas avoir des rap­ports.

ERNA
(Un peu décon­fite.) Mais alors la vie ne vaut pas vrai­ment la peine d’être vécue, si près de toute chose qu’on regarde se trou­vent des sell­es puantes. Sou­vent il s’ag­it juste­ment des rares choses plaisantes de la vie, et dès qu’on touche à ces belles choses, on se retrou­ve encore avec encore un tas de merde dans la main.

MARIE
Les mots les plus bas ne me font pas peur et les vraies sell­es non plus. Qu’est­ ce que ça peut bien faire, si on ne sait pas ce que c’est ? C’est mou et c’est chaud quand c’est frais. (Elle se redresse fière­ment.)
Les gens dis­ent tou­jours : flûte, les chiottes sont bouchées, vite, va chez Marie et ramène-la ici, elle le fait sans. Car les gens sont déjà au courant que la petite Marie ne prend pas de gants de caoutchouc quand elle fouille au fond de la cuvette. (Erna vom­it presque, elle se détourne.)
Les gens des meilleures familles vien­nent me voir quand les toi­lettes sont con­stipées. Alors la petite Marie a accès aux demeures les plus élé­gantes et partout on la traite avec gen­til­lesse. Moi, je n’ai vrai­ment pas du tout envie de vom­ir quand je far­fouille dans les pro­fondeurs de la cuvette ; c’est un sacri­ fice que je fais à Notre Seigneur Jésus Christ qui est mort pour nous tous sur la croix. Les gens dis­tin­gués des bonnes familles me deman­dent tou­jours si je ne veux pas met­tre des gants de caoutchouc, car ils sont cour­tois et ont reçu une bonne édu­ca­tion. Mais notre petite Marie, elle dit NON, car lorsque Dieu le Seigneur s’est fait le monde entier, il a égale­ment fait le purin humain.

ERNA
Mon Dieu, Marie, tu es un vrai porc, tu me par­don­neras, s’il te plaît, mais je t’en prie, arrête. C’est déjà assez grave comme ça que l’homme soit obligé de tou­jours faire caca et d’avoir sou­vent des sen­sa­tions si mau­vais­es. Je me suis sou­vent demandé pourquoi l’homme doit-il avoir un der­rière. Ce n’est pas beau du tout, un der­rière comme ça. Mais les hommes n’ar­rê­tent pas de fabri­quer des der­rières et s’en font des images.

GRETE
(Ignore totale­ment Erna.) Et donc il y a beau­coup de gens dis­tin­gués qui vien­nent vers toi pour te deman­der de l’aide ?

MARIE
Des gens extrême­ment rich­es et extrême­ment dis­tin­gués sont déjà venus voir la petite Marie, et une fois, on est même venu me chercher dans une grande voiture pour guérir des toi­lettes souf­frantes. Mais chez eux, il n’y a même pas de vraies toi­lettes, tout est très chic là-bas, ça ne sent même pas les sell­es, là­ bas les toi­lettes sont par­fumées comme les dames élé­gantes. Deux fois déjà Mon­sieur le Catéchiste m’a fait entr­er dans les toi­lettes, et une fois Mon­sieur le Curé. Et Mon­sieur le Curé a promis solen­nelle­ment à notre.petite Marie qu’il van­terait ses mérites auprès de ses paroissiens pour que d’autres gens puis­ sent faire appel à moi, quand leurs toi­lettes seront bouchées.

ERNA
Je ne com­prends pas, ma cuvette à moi n’est jamais bouchée. Prob­a­ble­ment les gens sont si dis­traits qu’ils y four­rent des corps tout à fait étrangers, car seule­ ment avec des sell­es, on ne bouche pas si facile­ment une cuvette. Moi aus­si, j’ai sou­vent des sell­es gross­es et fer­mes, car à cause de tous les soucis que me donne mon Her­rmann, les sell­es se sont entas­ sées dans mon corps. Alors il suf­fit de don­ner un bon coup de brosse et de tir­er la chas­se à plusieurs repris­es. Bien sûr qu’il ne faut pas non plus y met­tre trop de papi­er cul, sinon, oui, n’im­porte quoi peut arriv­er. Her­rmann m’engueule tou­jours ter­ri­ble­ment quand il défèque, et j’é­coute à la porte pour savoir com­bi­en de feuilles de papi­er cul il utilise. Car c’est très impor­tant, je le dis tou­jours ; tout d’abord, ça nous pe1·met de faire des économies, et puis c’est quand-même bien dan­gereux si le papi­er se mélange avec ses mau­vais­es sell­es glu­antes. Mais alors Her­rmann, lui, rit sim­ple­ment et boit son diges­tif.

GRETE
(Intéressée, à Marie:)
Qu’est-ce que les gens dis­tin­gués jet­tent donc dans la cuvette, qui bouche si cru­elle­ment la cuvette ?

A

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