L’espace mental du vieux roi Arkël

L’espace mental du vieux roi Arkël

Le 10 Juil 2002
Alain Eloy, Jacqueline Bollen et Florence Hebbelynck dans PELLÉAS ET MÉLISANDE de Maeterlinck, mise en scène Julien Roy. Photo Marie Françoise Plissart.
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Alain Eloy, Jacqueline Bollen et Florence Hebbelynck dans PELLÉAS ET MÉLISANDE de Maeterlinck, mise en scène Julien Roy. Photo Marie Françoise Plissart.
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Article publié pour le numéro
Modernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives ThéâtralesModernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives Théâtrales
73 – 74
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EN JANVIER 1997 au Théâtre Nation­al à Brux­elles, PELLÉAS ET MÉLISANDE val­ut à son met­teur en scène, Julien Roy, le prix du théâtre de la meilleure mise en scène de la sai­son. Rares en effet sont de tels instants d’harmonie entre l’univers d’un auteur et sa représen­ta­tion scénique. Stupé­fi­ant de beauté et de mys­tère, PELLÉAS ET MÉLISANDE don­nait rai­son à Rilke lorsqu’il écrivait « je ne con­nais aucune œuvre dans laque­lle soit enfer­mé autant de silence, autant de soli­tude ; d’adhésion et de paix, autant de roy­al éloigne­ment de toute rumeur, de tout cri ». Cette propo­si­tion scénique était fidèle au sym­bol­isme en retrou­vant à la fois « la forme médi­ta­tive du trag­ique con­tem­po­rain » qu’évoquait Hen­ri Ronse dans sa pré­face au texte pub­lié chez Labor, et à qui Julien Roy rend grâce de l’avoir fait entr­er dans Maeter­linck – il a joué en effet sous sa direc­tion dans LES AVEUGLES et mis en scène, à son ini­tia­tive, AGLAVAINE ET SÉLYSETTE. Enrichie des expéri­ences de Mey­er­hold, de l’économie sug­ges­tive du Nô ou de la danse, la mise en scène de Julien Roy abor­dait l’œuvre tel un espace men­tal. La mag­nifique scéno­gra­phie de Chris­t­ian Fenouil­lat lié à la dra­maturgie était plus sug­ges­tive que fig­u­ra­tive, à la manière d’un Munch, d’un Spilli­aert. Julien Roy trou­vait une fois encore dans PELLÉAS ET MÉLISANDE ce qui le retient aus­si chez Beck­ett ou Nova­ri­na : une inter­pel­la­tion de la parole, le pou­voir du poé­tique à traduire le secret, l’indicible, l’innommable.

Julien Roy— Maeter­linck a par­ié sur la langue, non sur la société ; une langue française dont i dés­ap­prend sci­em­ment l’usage, en la réduisant au bal­bu­tiement, à l’écholalie, dans une sorte de régres­sion au stade de pré-parole, jusqu’à l’entendre dans son frémisse­ment orig­inel. Car il importe moins au jeune poète de savoir de quoi on par­le que de trou­ver d’où on par­le : mise en abîme de l’homme par celle de la langue, à l’épreuve du sens. Le pre­mier théâtre de Maeter­linck met en œuvre une poé­tique du silence qui « tend vers l’utopie d’un silence du mot », comme l’a écrit Del­phine Can­toni. Par là, il nous donne à enten­dre notre béance psy­chique. Le per­son­nage de L’INNOMMABLE de Beck­ett dira « enten­dre trop mal pour pou­voir par­ler, c’est ça mon silence… Ne plus enten­dre cette voix, c’est ça que j’appelle me taire ». Mélisande au moment de sa mort : « Je ne com­prends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous… Je ne sais pas ce que je dis… Je ne sais pas ce que je sais… Je ne dis plus ce que je veux ». J’ajouterai avec Edmond Jabès : « sub­juguée, la parole déserte la parole. Elle s’applique à n’être pas» ; avec Nova­ri­na : « c’est dessous la langue qu’on est main­tenant, effon­dré ». Aus­si les inter­prètes d’un tel théâtre n’ont-ils plus le droit, ici, d’incarner un per­son­nage : à la manière de ces mar­i­on­nettes si chères aux dra­maturges sym­bol­istes, – je pense notam­ment à Gor­don Craig et Lugné Poe – ils doivent « se chercher dans leur incon­di­tion d’étranger » (Emmanuel Lév­inas), jusqu’à nous appa­raître totale­ment agis et par­lés. Ain­si l’acteur ne sera-t-il plus l’usurpateur de nos rêves, mais le révéla­teur par défaut d’un théâtre intérieur à cha­cun.

Sophie Creuz— Com­ment avez-vous pré­paré les comé­di­ens à ce tra­vail sur le temps, la lenteur, à abor­der une œuvre avec laque­lle ils n’étaient pas fam­i­liers, hormis vos anci­ennes élèves, Muriel Clairem­bourg, Cécile Hen­ry et Anne Beau­pain.

J. R.—Essen­tielle­ment par l’écoute active du son de la langue, jusqu’aux lim­ites de la perte du sens, à cette source où le son donne à voir et à enten­dre ce qu’on ne peut ni regarder ni écouter.

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Sophie Creuz
Sophie Creuz est critique théâtrale et littéraire à l’Écho depuis 1990. Elle est l’auteur de...Plus d'info
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