L’ordre rythmique

Entretien
Théâtre

L’ordre rythmique

Entretien avec Valère Novarina

Le 14 Juil 2007
Jean Quentin Chatelain, Pascal Omhovère, Dominique Parent, Claire-Monique Scherer, Agnès Sourdillon, Léopold von Verschuer et Laurence Vielle (Ordre ?) dans LA SCÈNE de Valère Novarina, mise en scène Valère Novarina, Théâtre de la Colline, Paris, 2003. Photo Tristan Jeanne-Valès, Agence Enguerand.
Jean Quentin Chatelain, Pascal Omhovère, Dominique Parent, Claire-Monique Scherer, Agnès Sourdillon, Léopold von Verschuer et Laurence Vielle (Ordre ?) dans LA SCÈNE de Valère Novarina, mise en scène Valère Novarina, Théâtre de la Colline, Paris, 2003. Photo Tristan Jeanne-Valès, Agence Enguerand.

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Jean Quentin Chatelain, Pascal Omhovère, Dominique Parent, Claire-Monique Scherer, Agnès Sourdillon, Léopold von Verschuer et Laurence Vielle (Ordre ?) dans LA SCÈNE de Valère Novarina, mise en scène Valère Novarina, Théâtre de la Colline, Paris, 2003. Photo Tristan Jeanne-Valès, Agence Enguerand.
Jean Quentin Chatelain, Pascal Omhovère, Dominique Parent, Claire-Monique Scherer, Agnès Sourdillon, Léopold von Verschuer et Laurence Vielle (Ordre ?) dans LA SCÈNE de Valère Novarina, mise en scène Valère Novarina, Théâtre de la Colline, Paris, 2003. Photo Tristan Jeanne-Valès, Agence Enguerand.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 93 - Ecrire le monde autrement
93

SYLVIE MARTIN-LAHMANI : Valère, tu as déjà une longue his­toire avec le Fes­ti­val d’Avignon. Cette créa­tion est la neu­vième. Depuis 1986, vous y avez joué LE DRAME DE LA VIE, VOUS QUI HABITEZ LE TEMPS, L’OPÉRETTE IMAGINAIRE (mise en scène de Claude Buch­wald), L’ORIGINE ROUGE, LE DISCOURS AUX ANIMAUX ain­si que L’INQUIÉTUDE par André Mar­con. Mais c’est la pre­mière fois que vous investis­sez la Cour d’honneur du Palais des Papes ?

Valère Nova­ri­na : C’est vrai. Avec Vin­cent Bau­driller, nous avons vis­ité plusieurs lieux qui m’attiraient pour des raisons sem­blables et dif­férentes : notam­ment la car­rière Boul­bon parce qu’il y avait ce mur de pier­res, cette sim­plic­ité, ce rap­port avec la nature, les cail­loux. Dans la Cour d’honneur, ce n’est pas le mur de pier­res qui m’a attiré, c’est le mur humain, en face des acteurs. Entre le mur de cail­loux et le mur humain, Vin­cent a choisi de m’envoyer face au mur humain. Mes textes sont faits par le lieu. Le tra­vail d’écriture germe à par­tir d’un lieu. Le lieu de la créa­tion est donc tout à fait impor­tant pour la pièce. J’ai écrit la pre­mière ver­sion de L’ESPACE FURIEUX pour le Théâtre de la Bastille. Les murs de la Bastille ont écrit la pièce. Les Carmes ont écrit LA SCÈNE. L’ORIGINE ROUGE avait com­mencé à s’écrire pour Boul­bon, et finale­ment c’est devenu Les Carmes. Le lieu est très présent : le croise­ment du lan­gage avec l’espace, l’endroit du re-croise­ment du lan­gage à l’espace. Le lan­gage est un flu­ide, une matière qui sort des corps et se réper­cute dif­férem­ment selon les lieux. On entend dif­férem­ment selon les lieux, selon les murs et selon la masse humaine. Il me sem­ble qu’on ne doit pas enten­dre la même chose à deux mille qu’à trois cents. Je n’ai pas encore l’expérience de la Cour d’honneur, mais cette mul­ti­tude humaine en face est atti­rante. Je me suis sou­venu que ce qui m’attirait dans ce mur humain venait de loin : quand j’étais petit, entre l’âge de zéro et dix ans, j’habitais à côté du stade Joseph Moy­nat à Thonon. Il y avait une tri­bune par­fois rem­plie, par­fois vide, rem­plie d’humains, vide d’humains. Quand j’ai vis­ité la Cour la pre­mière fois, j’ai préféré y aller seul, pour voir le vide de l’endroit. Dans le fond, ce qui m’intéresse, c’est que ce n’est pas seule­ment un endroit grand ; c’est un endroit creux, un endroit de creuse­ment. Louisa Mit­sacou m’a appris récem­ment que dans le théâtre grec, l’endroit du pub­lic, c’est l’endroit où on creuse la colline à Épi­dau­re. L’endroit du pub­lic s’appelle kiléon, c’est-à-dire le « creux du pub­lic ». C’est l’idée que le mur humain est un mur creusé, comme tous les murs d’ailleurs. À Jérusalem, le Mur des lamen­ta­tions aus­si est creusé puisqu’on peut y met­tre des mes­sages. Dans un mur, il y a des failles… C’est ce que j’ai ressen­ti quand on a joué à la Comédie-Française car c’est un endroit où il y a un pub­lic pop­u­laire. Il y a peu d’endroits où le pub­lic est mélangé. J’ai été éton­né de décou­vrir qu’il y avait un tel bras­sage humain à la Comédie-Française (des Japon­ais de pas­sage, des kinésithérapeutes de Car­cas­sonne, des gens des ban­lieues…). Il y a un vrai mélange humain. Quand il y a une mul­ti­tude, il se passe quelque chose de dif­férent : un phénomène ther­mique dans le pub­lic, le miroite­ment des regards. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le rap­port au pub­lic, mais le rap­port à chaque spec­ta­teur indi­vidu­elle­ment. Ils sont rassem­blés et touchés par des choses dif­férentes, cha­cun. Des flèch­es par­tent du spec­ta­cle et chaque spec­ta­teur reçoit un pro­jec­tile dif­férent. Il y a une bal­is­tique du lan­gage où les mots, les phras­es exis­tent, comme énergie opérante. Cet endroit, ce n’est pas rien. La nature va s’en mêler. Il peut pleu­voir, ven­ter. J’ai dit à mes acteurs que cette fois-ci, on n’allait pas sur le lac de Neufchâ­tel, mais faire un tour au Cap Horn, avec nos petites embar­ca­tions. Il y a un dan­ger marin qui vient de l’assemblée humaine et du temps. Le côté « expédi­tion » de la chose n’est pas pour me déplaire.

S. M.-L. : Dans LUMIÈRES DU CORPS1, il est dit : « L’acteur procède au lancer du lan­gage : comme des dés dans l’air, les mots sont des rébus à six faces qui tombent sur l’une seule­ment. » Que devien­dront les mots de ta nou­velle créa­tion lancés dans le grand espace de la Cour ?

V. N. : Je n’en sais rien et c’est ce qui est assez intéres­sant (Rires). Je ne m’adapte pas à la Cour d’honneur, cepen­dant elle est là. Ce texte s’appelle L’ACTE INCONNU, juste­ment pour qu’on ne pose pas de ques­tion. Il est écrit depuis longtemps, depuis la fin de LA SCÈNE en 2003. J’avais un chantier ouvert qui attendait sa matrice, son archi­tec­ture, son lieu. Quand Vin­cent Bau­driller m’a fait cette propo­si­tion, le vrai tra­vail a com­mencé. L’entrée en matière. Cette pièce a sou­vent changé de titre. Elle s’est appelée COMÉDIE CIRCULAIRE, c’était un titre de guerre ! Mais j’ai fait cir­culer un cer­tain nom­bre d’autres « faux » titres : ça s’est appelé LA PAROLE PORTANT UNE PLANCHE, ça s’est appelé L’ÉTOILE DES SENS, ça s’est appelé L’AMOUR GÉOMÈTRE, L’HOMME HORS DE LUI… Et, graphique­ment, j’ai préféré L’ACTE INCONNU.

S. M.-L. : Par­mi les faux dossiers que tu as fait cir­culer, j’en ai un qui par­le d’« Archipel d’actes ». C’est ain­si que la pièce est struc­turée ?

V. N. : Bien sûr, il y a de la vérité dans tous ces faux. Cette pièce est con­stru­ite en qua­tre actes et c’est très impor­tant. Le chiffre 4 est intéres­sant : un, c’est un point ; deux, c’est une ligne ; trois, ça déter­mine une sur­face et qua­tre, c’est l’apparition du vol­ume. C’est l’apparition de la matière, de la matéri­al­ité, des choses qu’on peut touch­er. Dans LA SCÈNE, il y avait un acte qui s’appelait « l’acte incon­nu ». Et j’aimais dire aux acteurs, à chaque fois que nous y arriv­ions : « Alors là, nous arrivons à l’acte incon­nu ! Et on ne sait pas ce qui va se pass­er… » J’aime beau­coup cette idée qu’on ne sache pas ce qui va se pass­er. C’est aus­si l’inconnu de cette ren­con­tre avec cet endroit autre.

S. M.-L. : Dans LUMIÈRES DU CORPS, au chapitre « L’Acteur sac­ri­fi­ant »2, tu dis : « Chaque fois qu’un acteur entre, de l’homme appa­raît offert et sans aucun sous-enten­du humain. » Tes scènes sont pleines d’entrées d’acteurs, d’acrobates, de danseuses « lançant leur corps ». Qui va entr­er dans L’ACTE INCONNU ?

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Valère Novarina
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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