RICHARD, le monstre, le tyran continue à hanter l’imagination des dramaturges à la fin du XXe siècle. Carmelo Bene, Bernard Chartreux ou Normand Chaurette s’amusent à dire l’histoire de Shakespeare à leur manière, à construire leur propre Richard, à perturber les sens initiaux et à en créer d’autres.
Dans son RICHARD III OU L’HORRIBLE NUIT D’UN HOMME DE GUERRE (1977), Carmelo Bene propose un Richard qui refuse de se figer dans une image établie à l’avance, et que l’on pourrait re-présenter. Son personnage se construit à même le texte, essaie des variantes de lui-même, connaît des balbutiements, des moments d’incertitude, se perd, se retrouve, subit une dynamique dans le présent de la scène.
Comme le remarque Gilles Deleuze1, le point de départ dans cette réécriture est représenté par la soustraction de tous les éléments de pouvoir, des rois et des princes qui imposaient une certaine lecture à la pièce shakespearienne. Une fois la lutte pour le trône achevée, le matériau textuel développe de nouvelles dimensions, présentes tout de même, en tant que virtualités, dans le texte initial, shakespearien. Comme la scène de Carmelo Bene est occupée seulement par Richard et les femmes, la carrière politique rime désormais avec la conquête érotique.
Dans un décor qui rappelle une loge d’acteur (miroirs, fleurs, un crâne, truquages), on assiste à la naissance du monstre. Le Richard de Bene se dédouble, il est à la fois le personnage et l’acteur en quête de son rôle. D’abord une figure en creux, un semblant de monstre dont la « petite normalité » n’impressionne personne, il se construit en ajoutant à son habit noir des accessoires déformants, prothèses et membres artificiels. Le dramaturge surprend les variations du personnage, ses hésitations. Les femmes qui le regardent devenir Richard répondent à ce processus, en sont complices : la difformité les attire, et alors elles deviennent aimantes, consentantes, et la normalité semble les effrayer.
L’intérêt de la réécriture de Carmelo Bene consiste, selon Gilles Deleuze, dans cette oscillation perpétuelle, dans cette variation continue des gestes et des mouvements et, à travers eux, du matériel textuel, qui change de sens au gré des métamorphoses de Richard. En effet, la pièce de Bene naît dans les didascalies, particulièrement nombreuses qui, par les indications sur les gestes des personnages, modifient des sens du texte emprunté à Shakespeare.