Bonsoir Monsieur Galilée

Entretien
Théâtre

Bonsoir Monsieur Galilée

Le 30 Déc 2009
Julia Ford, Jamie Manton, Ian Barritt, Simon Merrells, Christopher Gilling, Dermot Kerrigan et Simon Russell Beale dans LIFE OF GALILEO de Bertolt Brecht, mis en scène par Howard Davies, Londres, National Theatre, 2006. Photo de Catherine Ashmore.
Julia Ford, Jamie Manton, Ian Barritt, Simon Merrells, Christopher Gilling, Dermot Kerrigan et Simon Russell Beale dans LIFE OF GALILEO de Bertolt Brecht, mis en scène par Howard Davies, Londres, National Theatre, 2006. Photo de Catherine Ashmore.

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Julia Ford, Jamie Manton, Ian Barritt, Simon Merrells, Christopher Gilling, Dermot Kerrigan et Simon Russell Beale dans LIFE OF GALILEO de Bertolt Brecht, mis en scène par Howard Davies, Londres, National Theatre, 2006. Photo de Catherine Ashmore.
Julia Ford, Jamie Manton, Ian Barritt, Simon Merrells, Christopher Gilling, Dermot Kerrigan et Simon Russell Beale dans LIFE OF GALILEO de Bertolt Brecht, mis en scène par Howard Davies, Londres, National Theatre, 2006. Photo de Catherine Ashmore.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 102-103 - Côté Sciences
102 – 103

IL EST RARE qu’une pièce con­nue par­le d’un sci­en­tifique célèbre. LA VIE DE GALILÉE, écrite par Bertolt Brecht en 1949, fait par­tie de ces raretés. À cette occa­sion, j’eus la chance de pou­voir inter­roger Galilée qui venait juste d’assister à une représen­ta­tion. Je com­mençai par lui deman­der s’il avait aimé la pièce.

Ce n’est pas vrai­ment la bonne ques­tion à pos­er. Comme vous pou­vez vous en douter, je ne l’ai pas appré­ciée. J’étais plutôt flat­té que quelqu’un écrive une pièce à mon sujet et curieux de voir com­ment j’y étais représen­té. Est-ce que j’ai vrai­ment d’aussi mau­vais­es manières à table ? Non la vraie ques­tion à pos­er est de savoir si la pièce est un reflet exact des événe­ments, ou si l’auteur s’est con­tenté d’utiliser ma vie pour faire val­oir ses pro­pres idées. Lorsque dans une pièce, on utilise des per­son­nages ayant existé, on doit avoir l’obligation, me sem­ble-t-il, de les dépein­dre le plus exacte­ment pos­si­ble. Je trou­ve le titre, LA VIE DE GALILÉE par­ti­c­ulière­ment gênant. Quelle sim­pli­fi­ca­tion ! Quelle dis­tor­sion ! Comme si ma vie toute entière n’était rien d’autre qu’un com­bat con­tre l’Église, et…

« Nous revien­drons sur ce point plus tard. Pour le moment, pou­vez-vous nous dire com­ment vous avez com­mencé à vous intéress­er à la sci­ence ? »

Mon père voulait que j’étudie la médecine et je suis entré à l’Université de Pise. Mais alors que j’assistais à des cours sur la géométrie eucli­di­enne, je me suis pris de pas­sion pour les math­é­ma­tiques. Or mon père insis­tait pour que je ter­mine mes études de médecine même si mon intérêt était ailleurs. Au final, j’ai aban­don­né la médecine et j’ai quit­té l’université sans diplôme.

« Mais pour quelles raisons vouliez-vous utilis­er les math­é­ma­tiques pour résoudre des prob­lèmes de physique ? »

Il est tou­jours dif­fi­cile de refaire le chemin suivi par l’esprit humain. J’étais sans aucun doute influ­encé par mon père, musi­cien, qui avait un pen­chant pour les math­é­ma­tiques. Il avait étudié les longueurs et les ten­sions des séquences musi­cales et décou­vert une loi math­é­ma­tique. J’étais égale­ment très influ­encé par­la lec­ture d’Archimède et plus par­ti­c­ulière­ment par ses travaux sur les corps flot­tants et les leviers qui avaient été large­ment nég­ligés. Je m’intéressais de plus en plus à la sci­ence.

Mais revenons à la pièce. Brecht sem­ble ne rien enten­dre à la sci­ence. Dans la pre­mière scène, il me mon­tre par­lant d’un âge nou­veau dans lequel tout le monde remet­trait en cause les cer­ti­tudes anci­ennes. Quelle absur­dité ! Puis, il y a cette réplique où quelqu’un dit « nous n’aurions pas dû essay­er ce qui est dans les livres, mais plutôt chercher par nous-même ». Là encore, quelle absur­dité ! Une sim­ple obser­va­tion ne servi­ra qu’à nous con­va­in­cre que la terre est immo­bile et que chaque jour le soleil tourne autour d’elle. Non, la sci­ence a besoin avant tout de bonnes con­nais­sances math­é­ma­tiques et d’un mode de pen­sée par­ti­c­uli­er. Pour abor­der un prob­lème sci­en­tifique­ment, il faut faire abstrac­tion des con­cepts de poids et de vitesse, qui sont infin­i­ment vari­ables. Jamais je n’aurais prophétisé — comme il me l’a fait dire — que l’astronomie, une sci­ence math­é­ma­tique, serait un jour débattue sur la place publique. Tout ce que Brecht voulait, c’était voir notre sci­ence nou­velle ren­vers­er l’ordre poli­tique établi. L’homme du com­mun ne con­tribuera jamais à la sci­ence. Car celle-ci va mal­heureuse­ment à l’encontre du sens com­mun. Même Aris­tote l’avais com­pris, lorsqu’il dis­ait que la com­préhen­sion des choses boule­verse com­plète­ment notre mode de pen­sée ini­tial.

« Est-ce que l’Église a protesté con­tre votre théorie du mou­ve­ment ou d’autres aspects de votre sci­ence ? »

Non. À cette époque, mes vrais enne­mis étaient les philosophes — ce n’est pour­tant jamais men­tion­né dans la pièce. S’il pou­vait voir ce que les philosophes ont fait de sa pen­sée, le grand Aris­tote serait furieux. L’avez-vous déjà inter­rogé ? J’aimerais bien savoir ce qu’il en pense. Je ne crois pas qu’il ait jamais souhaité que ses idées soient ain­si trans­for­mées en un dogme irra­tionnel et irréfutable.

« Pourquoi les philosophes étaient-ils vos enne­mis ? »

Mon tra­vail sapait les fonde­ments même de leurs principes. Si j’avais rai­son — et c’était le cas — alors il deviendrait évi­dent que leurs idées n’étaient qu’un dogme creux et vide. Cela les aurait exposés au mépris et à la déri­sion de tous. Leur but n’était pas d’améliorer la com­préhen­sion du monde, mais de préserv­er intact le dogme aris­totéli­cien. Ils ne s’intéressaient pas aux mécan­ismes mais aux caus­es, qui pour eux cor­re­spondaient au but ultime der­rière chaque phénomène naturel. Reprenant la pen­sée d’Aristote, ils pen­saient que chaque objet avait une place naturelle, ce qui expli­quait par exem­ple pourquoi les pier­res tombent alors que la fumée s’élève. Ils ne s’intéressaient pas aux mesures, ni à ce que j’appelle des lois, qui per­me­t­tent de décrire le mou­ve­ment des objets de façon quan­ti­ta­tive. Ils avaient égale­ment une théorie dif­fi­cile­ment accept­able selon laque­lle le ciel serait dif­férent de la terre et les corps célestes seraient par­faite­ment ronds et se déplac­eraient en des cer­cles abso­lus. Savoir si cela était vrai ou pas ne sem­blait pas les intéress­er le moins du monde. Pas plus qu’ils ne se sou­ci­aient de véri­fi­er les théories qu’ils enseignaient, par exem­ple cette hypothèse selon laque­lle les corps lourds tomberaient plus vite que les corps légers.

« Avez-vous réelle­ment fait tomber des poids depuis le haut de la Tour de Pise ? »

Oui. Mais je con­nais­sais déjà le résul­tat. On a la preuve qu’au VIe siè­cle, Jean Philo­pon avait déjà fait cette expéri­ence avec des poids, et démon­tré qu’Aristote avait tort. Mais même sans en faire l’expérience, on peut prou­ver à l’aide d’une démon­stra­tion courte et probante qu’un corps plus lourd ne tombe pas plus rapi­de­ment qu’un corps plus léger à con­di­tion que les deux soient com­posés du même matéri­au et respectent les préreq­uis fixés par Aris­tote. Admet­tez-vous que chaque corps en train de tomber acquiert une vitesse définie, sta­ble par nature et qui ne peut ni aug­menter ni dimin­uer sauf s’il subit une force ou une résis­tance ?

« Oui, cela me sem­ble raisonnable. »

Donc, si on prend deux corps dont les vitesses naturelles sont dif­férentes et si on les réu­nit, le plus rapi­de sera par­tielle­ment retardé par le plus lent et le plus lent sera légère­ment accéléré par le plus rapi­de. Cela vous sem­ble-t-il cor­rect ? Bien, si ceci est le temps, et si une grosse pierre se déplace à une vitesse de, dis­ons huit, alors que la petite se déplace à une vitesse de qua­tre, l’ensemble doit se déplac­er à une vitesse inférieure à huit. Or les deux pier­res réu­nies for­ment une pierre plus grosse que celle qui, seule, se déplaçait à une vitesse de huit. On peut donc en con­clure que le corps plus lourd se déplace plus lente­ment que le corps plus léger, ce qui est con­traire à l’hypothèse d’Aristote. Aris­tote s’était trompé.

« Voilà une belle démon­stra­tion. D’après vous, pourquoi a‑t-il fal­lu si longtemps pour recon­naître que la théorie d’Aristote était fausse ? »

Les philosophes. C’est la faute des philosophes. Ils n’avaient que faire d’essayer de décrire la nature, ou plus exacte­ment, de décou­vrir les lois du mou­ve­ment. Comme je l’ai déjà dit, ils ne s’intéressaient qu’au main­tien de leur pro­pre autorité. Mais ce n’est pas tout. Si vous faites l’expérience avec une balle de cent livres et une autre d’une livre, vous con­staterez que si on les lance d’une cer­taine hau­teur, la plus lourde arrivera de deux doigts plus tôt que la plus légère. D’après Aris­tote, l’écart entre le temps d’arrivée des deux balles aurait dû être beau­coup plus grand. Certes, me direz-vous, la dif­férence de deux doigts, bien qu’infime, mérite quand même une expli­ca­tion, que je n’ai pas encore don­née. Mais cela n’est pas suff­isant pour sauver Aris­tote. Nous vivons tous dans l’incertitude. Vous vous sou­venez cer­taine­ment que Coper­nic peinait à expli­quer les dif­férentes phas­es de Vénus, pour­tant il n’a jamais aban­don­né. Avec la rai­son pour guide, il a con­tin­ué à affirmer résol­u­ment un principe que l’expérience sem­blait con­tredire, et je l’admire beau­coup pour cela.

« Vous avez dit, je cite “Il n’existe pas un seul phénomène naturel, si infime soit-il, que les théoriciens les plus ingénieux puis­sent com­pren­dre dans sa total­ité.”»

C’est exact et il m’est très facile de défendre ce point de vue. Vous aurez beau réduire l’explication d’un phénomène à ses principes de base, il restera tou­jours un résidu inex­pliqué et cer­taine­ment inex­plic­a­ble. Admet­tons par exem­ple que vous con­naissiez les lois du mou­ve­ment. C’est pos­si­ble après tout, nous avons fait de grands pro­grès même si de nom­breux prob­lèmes per­sis­tent. À l’issue de vos travaux, vous avez une for­mule math­é­ma­tique. Or, com­ment expliquez-vous ou com­prenez-vous cette for­mule ou la loi sur laque­lle elle est basée ? Sa com­préhen­sion totale est impos­si­ble, car même si vous com­prenez cette nou­velle for­mule, com­ment com­prenez-vous cette nou­velle com­préhen­sion ? Totale, juste, vraie, la com­préhen­sion est réservée à l’intelligence divine. On aura beau s’en approcher, jamais on ne l’atteindra. Les math­é­ma­tiques per­me­t­tront juste de la côtoy­er au plus près, peut-être de l’effleurer.

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Lewis Wolpert
Lewis Wolpert est professeur émérite au Department of Cell and Developmental Biology à l’University College...Plus d'info
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