La voie lactée du théâtre

Théâtre
Portrait

La voie lactée du théâtre

Le 27 Déc 2009
Corinne Garcia dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théâtre National de Strasbourg, 2008. Photo Élisabeth Carecchio.
Corinne Garcia dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théâtre National de Strasbourg, 2008. Photo Élisabeth Carecchio.

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Corinne Garcia dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théâtre National de Strasbourg, 2008. Photo Élisabeth Carecchio.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 102-103 - Côté Sciences
102 – 103

Voie lac­tée ô sœur lumineuse / Des blancs ruis­seaux de Chanaan…

Apol­li­naire

CES DEUX vers de LA CHANSON DU MAL-AIMÉ sont un cadeau posthume d’Apollinaire au spec­ta­cle de Jean-François Peyret EN TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE. La voie lac­tée que mon­tra ce spec­ta­cle est notre sœur lumineuse. Et ce spec­ta­cle fut un tour de force. Un tour de grâce. Théâtre de sons et de lumières, d’actrice et de per­son­nages, de dans­es et de musique, de chant et de parole, d’hommes et de bêtes – une tru­ie savante –, de beauté et de drô­leries. Théâtre total con­tem­po­rain où le « total » est tech­nologique : ordi­na­teurs, parole mys­térieuse, archi présente et comme cav­erneuse, des voix portées par de ultra mod­ernes micros ? Piran­del­lisme new look ou instal­la­tion­nel, d’une pièce en train de se faire ? Ou même grotte du magi­cien Alcan­dre de L’ILLUSION COMIQUE et palais des mer­veilles ? Tout cela ensem­ble et rien de tout cela. Pensez donc : faire du fon­da­teur de la physique mod­erne un magi­cien serait digne de l’inquisition qui les brûlait et n’aurait pas le sens com­mun. Et d’ailleurs nous tournons autour de Galilée, comme, par le duel entre sci­ence et diver­tisse­ment, nous tournons aus­si autour de Brecht. Pour­tant, je main­tiens mer­veilles.

Mer­veilles donc depuis le pre­mier « plan », par terre, avec, dans un soupi­rail de lumière, une petite danseuse assise en poupée de chif­fons, en train de lire une let­tre écrite à Galilée par sa fille sur le cit­ron con­fit, jusqu’à cette cos­mogo­nie théâ­trale et lucré­ti­enne obtenue par les lumières au sol devenu voûte céleste. Richesse de l’espace scénique (espèce d’espace) à la Dario Fo pour un mis­tero buf­fo général pro­pre aux trans­for­ma­tions, aux hési­ta­tions (méditées) et aux sur­pris­es. Per­spec­tive toscane au bleu loin­tain d’une CHUTE D’ICARE (par Breughel, quoique : « Pas de Tableau », déclare le met­teur en scène par le truche­ment d’un acteur). Vedet­tari­at du cit­ron, héros de la démon­stra­tion d’une fameuse loi galiléenne, pina­cle d’une scène de music-hall où deux Fat­ty Arbuck­le et quelques déli­cieuses devi­en­nent la ver­sion dro­la­tique de la décou­verte des satel­lites de Jupiter. Fluc­tu­a­tion mag­nifique sur une scène célèbre– dans le GALILÉE de Brecht — celle, de l’habillage de Barberini‑, où le nou­veau pape est joué par un cochon. Tan­dis que l’habillage se change en ser­pen­te­ment de Jeanne Bal­ibar et des danseuses sous la queue de comète d’un drap découpé, drag­on chi­nois et péni­tent à la fois, tout aus­si bien que jeu de cache-cache enfan­tin. Et tout cela cul­mine dans la mon­stra­tion à la fois explica­tive et car­rol­li­enne de la loi de la chute des corps, où un cit­ron (ce héros!) et un livre, ser­vent d’exemple à une chute qui n’a plus rien de coupable — Galilée ne le fut-il pas et d’hérésie ? D’où cette extra­or­di­naire inno­cence, déli­cieuse­ment ludique, ce for­mal­isme plein de fraîcheur, par lesquels la sci­ence mod­erne marche vers nous. L’avenir du galiléisme est ici le jeu du monde et sa nou­velle beauté. Beauté par­faite­ment incar­née par Jeanne Bal­ibar, Jeanne au cochon, pas sainte Jeanne des abat­toirs, qui, du pagne for­mé des feuilles de man­u­scrits galiléens à la robe du soir d’un numéro kurt weilien (O Moon of Alaba­ma) appuyée sur le piano, Jeanne de quat’sous, chante et joue de tout son reg­istre, sans trucage, dans une sorte de puis­sance mesurée et offerte. Sans oubli­er d’adorables pas­sages tels ceux où danseuses et actrice danseuse s’exercent à la barre con­sti­tuée par le bras de trac­tion d’une valise à roulette ou bien couchées en cer­cle dans un exploit de cré­celles, frap­pent le sol de leurs jambes : tout cela est mer­veille.

Quoi, un théâtre d’illuminations pour des illu­minés et tout cela au sujet de Galilée ? Manière de faire de la sci­ence amu­sante ou de lui don­ner sur le bec pour qu’elle cesse de nous faire le coup de l’autorité ? Non : tour de force, et saut par-dessus un obsta­cle. L’obstacle qui a pour nom Brecht. Et sa VIE DE GALILÉE. La pre­mière mesure prise pour le franchir sera de ne pas jouer une vie de Galilée, ou cen­trée sur le procès que lui fit l’Inquisition et la sorte d’apostasie de sa doc­trine qu’il choisit de faire pour s’en sor­tir. Ne pas la rejouer, la con­tourn­er, c’est la déplac­er en pointant le téle­scope sur sa fille, acquise à lui et bril­lante, toute mis­érable qu’elle soit, puisque par pau­vreté du père et absence de dot, elle a dû se faire nonne. Et sœur Marie Céleste.

Ne pas jouer LA VIE DE GALILÉE de Brecht pour jouer la vie de la fille de Galilée ? Pas non plus, ou alors, plutôt que la vie de sa fille, celle de la cor­re­spon­dance qu’elle entre­tient avec son père. Jeanne Bal­ibar, dans une de ses pre­mières appari­tions ne nous fait-elle pas part d’une let­tre où appa­raît ce cit­ron con­fit, héros et furet de la pièce : « Je vous envoie ce cit­ron con­fit… Le cit­ron vert que vous m’avez demandé de con­fire, il n’en est resté que ces petits morceaux », dis­ait déjà la poupée de chif­fons après le noir et le silence de l’espace scénique infi­ni dans la pre­mière scène de la pièce. Pour­tant ce n’est pas encore ça. La présence du cochon, de la tru­ie Bibi, devrait, d’ailleurs, nous met­tre la puce à l’oreille. N’est-elle pas l’empêcheur de tourn­er en rond avec ses tra­jets erra­tiques de comète rose et lente qui tra­verse la scène en cher­chant le chemin des frian­dis­es ? Règle­ment de compte avec un Galilée brechtien, ou brech­toïde. Cochon qui incar­n­erait aus­si un Brecht pro­to­co­laire ? Car :

« Pourquoi dans LA VIE DE GALILÉE, sa fille, Brecht en fait-il une idiote ? » dit Olivi­er Per­ri­er — « Je ne sais pas », répond Jeanne Bal­ibar — « il faut faire un autre spec­ta­cle. »

Si cet autre spec­ta­cle, son livret, son fil, sa nar­ra­tion étaient bien une vie, celle de la fille de Galilée, remisée dans un cou­vent, on ne pou­vait mieux choisir. Elle est si courte que l’on voit sa mort dans une des pre­mières scènes. Comme aurait dit Girau­doux, aux pre­mières lignes d’un de ses romans LA GRANDE BOURGEOISE, après en avoir dévoilé l’intrigue :

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