« Je ne crois pas à l’innocence des enfants »

Entretien
Théâtre

« Je ne crois pas à l’innocence des enfants »

Entretien avec Emmanuel Demarcy-Mota

Le 20 Avr 2010
Philippe Demarle, Valérie Dashwood, Sandra Faure et Gérald Maillet dans WANTED PETULA de Fabrice Melquiot, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Théâtre des Abbesses, Paris, octobre 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Philippe Demarle, Valérie Dashwood, Sandra Faure et Gérald Maillet dans WANTED PETULA de Fabrice Melquiot, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Théâtre des Abbesses, Paris, octobre 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Philippe Demarle, Valérie Dashwood, Sandra Faure et Gérald Maillet dans WANTED PETULA de Fabrice Melquiot, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Théâtre des Abbesses, Paris, octobre 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Philippe Demarle, Valérie Dashwood, Sandra Faure et Gérald Maillet dans WANTED PETULA de Fabrice Melquiot, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Théâtre des Abbesses, Paris, octobre 2009. Photo Jean-Louis Fernandez.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 104 - Désir de théâtre. Désir au théâtre
104

CHANTAL HURAULT : Après CASIMIR ET CAROLINE, vous retrou­vez un autre cou­ple « mythique », Bouli Miro et Petu­la Clark et vous ouvrez avec lui les portes de votre théâtre à un pub­lic plus large, puisqu’il s’adresse aus­si aux enfants. Abor­der la ques­tion du désir et de la sex­u­al­ité pour­rait appa­raître ici déli­cat. Avez- vous voulu la con­tourn­er ? 

Emmanuel Demar­cy-Mota : Je ne pense pas avoir con­tourné la ques­tion de la sex­u­al­ité en mon­tant WANTED PETULA, pour la rai­son que Melquiot ne la con­tourne pas non plus. Ou alors, la sex­u­al­ité, sup­posée irreprésentable dans la mesure où les per­son­nages ne font pas l’amour en scène, est for­cé­ment « con­tourn­able ». Elle est en tout cas ici sou­vent abor­dée, de divers­es manières et dans dif­férentes sphères. Les per­son­nages de la pièce y font sans cesse allu­sion, ce qui mon­tre bien que c’est un de leurs con­stants désirs (les enfants, les par­ents et les grands-par­ents, aus­si bien que, par exem­ple, le Petit Prince). Pour moi, désir et sexe ne s’opposent guère.

C. H.: A u théâtre, comme au Guig­nol, les enfants sont des spec­ta­teurs très spon­tanés qui ont a pri­ori moins de dis­tance. En avez-vous tenu compte ? 

E. D.-M.: Le comé­di­en qui joue Bouli est un acteur encore très jeune. Ce n’est pas un adulte au sens ordi­naire. Il en va de même de Petu­la. Ils dif­fèrent, par leur âge, par leur jeu, des autres. Je sup­pose que les enfants qui assis­tent à la représen­ta­tion s’identifient plus facile­ment à eux deux qu’aux grands-par­ents défunts, par exem­ple. L’identification est moins une pro­jec­tion, qu’une recon­nais­sance. On recon­naît un enfant, un père, une mère, un aïeul, au théâtre, que ce soit dans Eschyle, Molière ou Melquiot. C’est même sans doute ain­si que l’on peut « ini­ti­er » les enfants au théâtre, ou en tout cas à un théâtre dont la devise ne serait pas : « Les enfants par­lent aux enfants » ! Les ogres aiment bien les enfants, mais les enfants aiment bien aus­si les ogres ! 

C. H.: L’univers de l’enfance est sou­vent asso­cié à l’innocence. Trou­vez-vous qu’aujourd’hui le regard que nous por­tons sur l’enfance idéalise l’innocence qu’on prête à cet âge là ? 

E. D.-M.: Oui ! Je ne crois pas à l’innocence des enfants. Il est, depuis Freud, enten­du que les enfants n’ont rien d’innocent. Tout au plus les répute-t-on naïfs, et on s’extasie sur leurs bons mots, mais parce que ces bons mots décou­vrent plutôt que « le roi est nu ». Dire que le roi est nu sup­pose un courage con­tre les préjugés adultes, qui admirent en chœur la robe royale avec la couronne. Dans WANTED PETULA,Bouli passe son temps à démen­tir les faux-sem­blants – avec Arm­strong, avec le Petit Prince, avec la puce… –, parce que sa quête de Petu­la l’exige. C’est un cheva­lier qui com­bat des mon­stres, au nom de sa Dame. C’est assez sophis­tiqué. Ce qu’indique le titre : WANTED PETULA. Il la cherche et la veut ! 
On m’a rap­porté l’indignation d’un père au sor­tir de la pièce : « Mon­sieur, cette pièce ne s’adresse pas à des enfants de huit ans ! Mais à des enfants bien plus âgés ! » Je me dis alors : « À père frileux, fils curieux ! » Comme ces enfants qui entendaient leur grand-mère leur racon­ter sur la nais­sance des enfants des his­toires de ros­es et de choux, et qui se dis­ent : « On lui dit la vérité, ou on la laisse mourir idiote ?»

C. H.: Vo us dites désir­er pro­longer votre aven­ture avec Bouli Miro en col­lab­o­ra­tion avec Fab­rice Melquiot. Qu’est-ce que ce per­son­nage, et plus large­ment le théâtre en direc­tion de jeunes spec­ta­teurs, éveille dans votre désir de met­teur en scène ? 

E. D.-M.: Juste­ment, une épreuve de vérité. Cela, tout le monde le dit, vous ne retenez l’attention des enfants que si vous ne trichez ni sur les sym­bol­es, qui doivent être forts, ni sur l’imaginaire, qui doit être inven­tif, ni sur le réel, qui est trau­ma­tique, et que font pass­er comme en con­tre­bande l’imaginaire et le sym­bol­ique.
Quant à Bouli Miro, il devient lente­ment mythique. J’apprends donc à le mieux con­naître à chaque nou­v­el épisode, comme si c’était Perce­val ou Roland.

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Emmanuel Demarcy-Mota
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Écrit par Chantal Hurault
Doc­teure en études théâ­trales, Chan­tal Hurault a pub­lié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser la lumière (Actes...Plus d'info
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