THANKS TO MY EYES est la première expérience lyrique de Joël Pommerat et d’Oscar Bianchi. Cet opéra de chambre a inauguré le Festival d’Aix en Provence 2011. Le livret est une réécriture de la pièce GRÂCE À MES YEUX créée en 2002 au ThéâtreParis-Villette. Il a été ensuite traduit en anglais.
Dans les spectacles de Pommerat, l’écriture théâtrale s’invente sur le plateau – les répétitions, un rôle pour l’acteur, la quête d’une présence, les ratures et la réécriture, un flou de personnage enfin ; la fable prend forme et la voix raconte, lentement. Son pouls est d’une régularité trompeuse, son timbre d’une matité épaisse ; sa résonance d’un naturel amplifié ; son silence d’une vacuité remplie de sens ; la parole semble claire, accessible peut-être. Mais il y a ce qu’on entend et ce qu’on écoute – l’ineffable de la fable est une voix inaudible. Dans ce chant intérieur d’une nudité minérale, on pressent la fêlure de l’âme et le noir de l’inavouable ; c’est ce son souterrain qui hante l’espace, c’est ce sourd écho à quelque chose de très lointain qui invite au voyage.
Quelle dramaturgie musicale pour cette voix spectrale ?
Séparer la matière vocale du corps, confier cette langue enfouie à un compositeur d’opéra si talentueux soit-il risquait le démembrement des personnages et l’égarement du secret ; l’on pouvait craindre que le déterminisme des conventions lyriques ne gèle une narration fluide d’entre deux eaux ; que le choix d’une voix de baryton pour le père et de contre-ténor pour le fils ne fige ces êtres mouvants dans l’artifice d’une typologie vocale datée ; que l’expressivité re-codifiée d’une ligne vocale tendue comme un arc ne brise l’intimité pudique des corps ; que les inquiétantes évocations d’une texture sonore inouïe n’effacent des présences silencieuses si pleines de l’instant.
Un univers théâtral décidément étrange et l’opéra. Il y a là comme une évidence mais laquelle ? Deux chemins, une collaboration, une œuvre, et une question me laissant songeuse.
Et si le re-chantementdu monde rompait l’enchantement ?
L. D.
LeyliDaryoush — THANKS TO MY EYES est ta première expérience à l’opéra. Comment t’es-tu confronté à la temporalité de la musique ?
Joël Pommerat — La proposition d’un opéra m’avait paru intéressante parce qu’elle me confrontait à une expérience de création nouvelle. Une fois sur le plateau, je ne me suis pas senti prisonnier mais un peu encadré. J’ai essayé d’aller dans le sens de la musique et de me laisser emporter par quelque chose qui ne m’appartenait pas, qui n’était pas ma décision, mais que je pouvais m’approprierun peu quand même, en intervenant sur la temporalité à certains endroits de la partition.
Entre la passivité et l’interventionnisme, la marge est très délicate. Il y avait quelque chose à trouver, une collaboration où chacun puisse entrer dans le champ de l’autre, le musicien dans le champ de l’écriture du livret et vice-versa. À un moment donné, il fallait qu’il y ait des ponts et des possibilités entre les deux dimensions, nous les avons saisies.
L. D. — Comment as-tu travaillé l’adaptation de la pièce en livret d’opéra ?