Le futur du monde est dans le métissage

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Le futur du monde est dans le métissage

Entretien avec Alain Platel

Le 24 Juil 2014
Alain Platel dans l’atelier de Freddy Tsimba, Kinshasa, 2013. Photo D. R.
Alain Platel dans l’atelier de Freddy Tsimba, Kinshasa, 2013. Photo D. R.

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Alain Platel dans l’atelier de Freddy Tsimba, Kinshasa, 2013. Photo D. R.
Alain Platel dans l’atelier de Freddy Tsimba, Kinshasa, 2013. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Bernard Debroux : Quel a été ton pre­mier con­tact avec Kin­shasa ? Était-ce pour Pitié !1 en 2009 ?

Alain Pla­tel : En réal­ité, nous n’étions pas sûrs d’y aller. Cer­tains danseurs se posaient la ques­tion de savoir s’il était « juste » d’un point de vue éthique d’aller jouer ce spec­ta­cle là-bas. Ils trou­vaient qu’il fal­lait faire autre chose que d’aller jouer un spec­ta­cle à Kin­shasa. J’ai insisté un peu, puis on a décidé d’y aller et de créer un fonds pour que les danseurs qui souhaitaient ne pas être payé puis­sent y revers­er leur cachet ; c’était impor­tant pour eux.

B. D. : Vous n’avez pas seule­ment joué le spec­ta­cle, il y a eu des work­shops, des ren­con­tres.

A. P. : Je trou­vais que c’était très impor­tant pour les danseurs d’y aller, de vivre cette expéri­ence. Je savais aus­si que les Con­go­lais voulaient absol­u­ment qu’on vienne. Ils avaient envie de voir ce genre de démarche artis­tique avec laque­lle ils avaient très peu de con­tacts. C’étaient pour les danseurs une expéri­ence qui a changé leur vie. J’avais déjà d’autres expéri­ences, notam­ment avec Serge Coulibaly à Oua­gadougou où j’ai tra­vail­lé avec des danseurs burk­in­abés. Mais Pitié ! a été la pre­mière pièce de la com­pag­nie C de la B jouée en Afrique.

B. D. : Quelle impres­sion t’a faite Kin­shasa quand tu y as débar­qué ?

A. P. : L’arrivée à Kin­shasa m’a forte­ment impres­sion­né. Nous sommes arrivés le soir. Pour aller de l’aéroport vers la ville, il n’y avait pas encore de route macadamisée comme aujourd’hui. Je me rap­pelle le chaos énorme à côté de cette route, les gens qui y vivaient, les petites lumières, les odeurs, c’était boulever­sant. Nous nous y sommes habitués petit à petit, mais nous viv­ions des expéri­ences humaines très fortes. Comme nous étions là pour une semaine nous avions le temps de mon­ter le spec­ta­cle mais aus­si de vis­iter cer­tains quartiers, de ren­con­tr­er de petits groupes d’artistes.

B. D. : Com­ment as-tu perçu le tra­vail réal­isé là-bas ?

A. P. : Les con­di­tions de tra­vail étaient très dures. J’ai fait le lien avec la Pales­tine où j’ai pu aller dés le début des années 2000. J’ai vu com­ment les gens, dans des con­di­tions extrême­ment dif­fi­ciles, réus­sis­sent à faire de l’art, à créer, à être ensem­ble. Ce fut pour moi un choc énorme. En Pales­tine, c’était dans des con­di­tions matérielles moins pénibles qu’au Con­go, mais dans un sen­ti­ment d’enfermement très dur à vivre. Pour tous les gens qui étaient là avec moi, c’était vrai­ment inspi­rant ! Même si chez nous on a par­fois des raisons de se plain­dre de la manière dont les artistes sont traités, en allant là-bas, on reçoit comme une gifle en pleine fig­ure !
On m’a tout de suite demandé, comme ce fut le cas en Pales­tine, si je ne voulais pas tra­vailler avec des artistes autochtones. Il y a tou­jours cette néces­sité de créer des spec­ta­cles autour des prob­lèmes que les gens vivent. Ça me gêne très fort d’entrer dans ce genre de pro­jet parce que je crois que les gens doivent le faire eux-mêmes. Ce que je cherche d’abord c’est d’avoir une ren­con­tre artis­tique et humaine. Dans ce sens Coup fatal est vrai­ment le pro­jet dont je rêve…

B. D. : Vous signez le spec­ta­cle à trois : Serge Kakud­ji, Fab­rizio Cas­sol et toi…

A. P. : C’est Serge Kakud­ji et Paul Ker­stens qui sont à l’origine du pro­jet, né en pro­longe­ment de l’expérience vécue par Serge dans Pitié !. À cette époque, il avait dix- sept ans et était fasciné par la musique baroque. Sa par­tic­i­pa­tion dans Pitié ! lui a per­mis de rester en Bel­gique et en France et de suiv­re des cours de chant. Mais son pro­jet n’était pas de s’installer défini­tive­ment ici. Il voulait prof­iter de cette expéri­ence et la partager avec des musi­ciens à Kin­shasa. Il mène une recherche depuis qua­tre ans sur les pos­si­bil­ités d’interpréter cette musique baroque européenne et la mêler à la musique africaine. Paul Ker­stens l’a tou­jours suivi et soutenu. De là est venue l’idée de faire un spec­ta­cle. Ils ont ensuite demandé à Fab­rizio de par­ticiper à sa réal­i­sa­tion. Fab­rizio, avec qui j’ai un long com­pagnon­nage, a souhaité que je par­ticipe au pro­jet. Je ne savais pas au départ si j’allais pou­voir le faire. Quand je les ai vus tra­vailler en été 2013 à Kin­shasa, sans savoir au départ quelle serait exacte­ment ma par­tic­i­pa­tion, j’ai voulu absol­u­ment être dans ce « bain » musi­cal extra­or­di­naire.

B. D. : Quelle est la méth­ode de tra­vail que tu utilis­es pour Coup fatal ? Habituelle­ment tu tra­vailles avec tes danseurs (même si tu te con­sid­ères comme un met­teur en scène et non comme un choré­graphe). Ici c’est, j’imagine, une toute autre approche. Ce sont des musi­ciens, même si pour les Africains, l’expression musi­cale est en général peu séparée d’un engage­ment physique et cor­porel.

  1. Pitié ! d’Alain Pla­tel et Fab­rizio Cas­sol. Dan­sé et créé par : Élie Tass, Émile Josse, Hyo Seung Ye, Juliana Neves, Lisi Estaras, Louis- Clé­ment Da Cos­ta, Math­ieu Des­seigne Rav­el, Quan Bui Ngoc, Romeu Runa, Ros­al­ba Tor­res Guer­rero ; chan­té par : Claron Mc Fad­den, Lau­ra Clay­comb, Melis­sa Givens (sopra­no), Cristi­na Zaval­loni, Mari­beth Dig­gle, Mon­i­ca Brett- Crowther (mez­zo), Serge Kakud­ji (con­tre-ténor), Mag­ic Malik (chant et flûte); musique jouée par Aka Moon : Fab­rizio Cas­sol (sax­o­phone), Michel Hatzi­ge­or­giou (fend­er bass, bouzou­ki), Stéphane Gal­land (drums, per­cus­sion), Airelle Besson / Sanne Van Hek (trompette), Kras­simir Sterev / Philippe Thu­ri­ot (accordéon), Michael Moser / Lode Ver­campt (vio­lon­celle), Tcha Lim­berg­er / Alexan­dre Cav­al­ière (vio­lon). ↩︎
  2. Voir expli­ca­tion page XX. ↩︎
  3. Tauber­bach d’Alain Pla­tel, avec Bérengère Bod­in, Élie Tass, Elsie de Brauw, Lisi Estaras, Romeu Runa, Ross McCor­ma­ck. Voir L’ange Pla­tel, Alter­na­tives théâ­trales no 120, 1er trimestre 2014. ↩︎
  4. Michel Ser­res, Petite Poucette, Éd. Le Pom­mi­er, col­lec­tion man­i­festes, 2012. ↩︎

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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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