Tout juste âgé de vingt-cinq ans, Hossein Tavâzonizâdeh exerce les métiers d’acteur, scénariste et metteur en scène depuis six ans, tout en poursuivant des études supérieures. Il a récemment mis en scène Butterfly (Parvâneh en persan), un spectacle programmé dans le cadre du Festival international de théâtre Fadjr à Téhéran (édition 2017). Une forme originale présentée en déambulation dans une vieille demeure au charme désuet, comme endormie, au cœur de l’immense capitale urbaine iranienne. Dans l’intimité d’une maison et de ses hôtes réunis avant les noces, trois comédiennes se livrent à autant de spectateurs – invités, témoins, ou spect-acteurs – délicatement pris à parti de ce moment de vie…
Un « théâtre d’immersion » inspiré à Hossein Tavâzonizâdeh par son intérêt pour l’architecture : « Parfois je regarde une maison, une fenêtre ou une rue pendant des heures, et je sens qu’il y a là quelque chose que j’aime. La forme de Le Papillon (The Butterfly) s’inscrit dans le parcours artistique de notre compagnie. Nous utilisons l’’architecture du bâtiment comme un organisme vivant, comme une entité qui nous guide dans une sorte de dialogue. » Hossein et ses collaborateurs ont pour habitude de travailler avec le potentiel des lieux qu’ils investissent, sans rien forcer, en conservant le maximum de ses possibilités en l’état : « C’est pourquoi nous nous servons plutôt de la lumière naturelle (en fonction des conditions d’éclairage à différents moments de la journée) et si possible des appareils qui sont disponibles dans l’environnement immédiat. » L’œuvre doit donc s’adapter à chacun des nouveaux écrin qui l’accueillent, plutôt que l’inverse, et à la présence des spectateurs. Leur proximité avec les acteurs, leur manière de réagir, la nature de leur présence renouvelée chaque soir – qui dépasse le rôle habituellement muet des publics de l’ombre des salles traditionnelles – influencent considérablement l’atmosphère générale de leurs cérémonies théâtrales.
Basé sur une cérémonie traditionnelle iranienne, The Butterfly se déroule au moment précis où un jeune homme demande officiellement la main d’une jeune fille à ses parents. Il s’agit d’une tradition encore très vivante dans la société iranienne, qui permettait aux jeunes gens de se rencontrer pour la première fois avant le mariage. Si le rituel familial se perpétue aujourd’hui, l’évolution de la société iranienne fait qu’ils lient bien souvent connaissance longtemps avant de sceller leur union. Hossein rappelle l’usage : « On allait, avec des fleurs et des bonbons, dans la maison de la famille de la jeune fille pour lui demander sa main. L’ouverture de la boîte de friandises (ou le fait que la jeune fille serve le thé aux invités) signifiait que le mariage était accepté. L’autre étape symbolique importante était celle où les jeunes gens se voyaient dans une chambre, pour se parler en privé, brièvement… Vous imaginez-vous que dans le passé, c’était, pour les jeunes mariés, la première fois qu’ils se voyaient et dialoguaient ? » Dans le spectacle, Hossein renverse ces usages qui ne lui semblent plus correspondre aux mœurs d’aujourd’hui : « Autrefois, on choisissait une femme comme un objet dans un magasin, sans se soucier de son point de vue – cela se passe encore souvent aujourd’hui ». Dans le spectacle, au contraire, les jeunes femmes ne gardent pas le silence.
Elles s’adressent directement aux spectateurs en demandant aide et justice. Elles les scrutent dans les yeux en implorant leur compréhension : « Je ne suis pas sûre que vous me comprenez entièrement. », revient comme un leitmotiv…
Ce sont les jeunes filles ici qui remettent au jeune marié (en l’occurrence, ce jour-là, une spectatrice prise à parti) sa veste. Ce sont elles qui mènent la cérémonie, lui donnent des fleurs et des bonbons, corrigent ou réforment la tradition.
Elles, encore, qui racontent l’histoire dans cette maison qu’elles se sont appropriées pendant le processus de création : « Au premier regard, tout bâtiment doit être étudié selon ses caractéristiques. Par exemple, avant la Révolution, une famille aristocratique a vécu ici. Après la Révolution, la maison a été contrôlée par une agence de publicité, puis par un ennuyeux bureau d’assurances, avant d’être abandonnée… Cela nous a fait imaginer la vie d’une fille roturière, triste et solitaire, puis celle d’un homme ambitieux et plein d’idéaux, et ensuite, celle d’un employé, seul au milieu d’ordinateurs et d’imprimantes. Tous ces sentiments et énergies résident quelque part dans cette maison. On en reçoit toujours l’impact direct pendant le processus de création. Les actrices et nous tous, entretenons une histoire avec les objets de la maison. Nous avons choisi des noms et attribué des qualités morales pour chacun d’entre eux. » Hossein est convaincu que ce genre d’exercices permet aux comédiens de se familiariser avec l’espace, de s’y projeter comme dans la maison de leur grand-mère. C’est comme s’ils prélevaient « des idées du tissu de l’architecture ».
Inspiré en cela par le travail d’Hamid Pourazari (voir l’article de Fahimeh Najmi, « Théâtre universitaire en Iran » page XX), le jeune metteur en scène rappelle ce qu’ils ont en commun mais aussi ce qui les différencient.
S’inspirer de l’environnement immédiat et accepter son impact direct dans la performance ; vivre avec les acteurs, ne pas avoir peur de faire autre chose… « Hamid fait du théâtre comme un musicien. Il écrit en jouant, comme un musicien qui improvise. Par exemple, nous ne nous asseyons pas pendant des heures pour parler.
On fait, on exécute, pour voir si ça convient. Tous les deux, nous pensons que le metteur en scène n’est pas le Seigneur tout puissant… Mais nous n’avons pas le même rapport à la langue. Pour Hamid, la langue est un matériau qui n’a pas en soi un sens très précis. La signification s’appréhende dans l’ensemble, ses travaux ont une grande qualité musicale. » Hossein utilise également la langue comme un matériau de base, mais il l’exploite beaucoup. Quand bien même les textes ne sont pas totalement accessibles pour les spectateurs, la musicalité de la langue, son « énergie et son histoire sensorielle » permettent de les atteindre, au-delà de la barrière des langues : « Dans un festival en Géorgie, j’ai ajouté un acteur géorgien pour combiner trois langues : le persan, l’anglais et le géorgien. Ces langues étaient , pour le spectateur local, respectivement incompréhensible, quasi compréhensible et totalement compréhensible. Nous n’avons pas fait ce travail par souci de traduction mais pour atteindre la meilleure combinaison des sonorités musicales… ».
The Butterfly offre un bel exemple de ce travail. Un bruissement de langues enveloppant qui permet de créer un climat d’intimité entre les actrices et le public, le temps d’une réunion de famille…