Veille de noces

Théâtre
Critique
Portrait

Veille de noces

À propos de Le Papillon, écrit et mis en scène par Hossein Tavâzonizâdeh

Le 9 Juin 2017
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

Tout juste âgé de vingt-cinq ans, Hos­sein Tavâ­zonizâdeh exerce les métiers d’acteur, scé­nar­iste et met­teur en scène depuis six ans, tout en pour­suiv­ant des études supérieures. Il a récem­ment mis en scène But­ter­fly (Parvâneh en per­san), un spec­ta­cle pro­gram­mé dans le cadre du Fes­ti­val inter­na­tion­al de théâtre Fad­jr à Téhéran (édi­tion 2017). Une forme orig­i­nale présen­tée en déam­bu­la­tion dans une vieille demeure au charme désuet, comme endormie, au cœur de l’immense cap­i­tale urbaine irani­enne. Dans l’intimité d’une mai­son et de ses hôtes réu­nis avant les noces, trois comé­di­ennes se livrent à autant de spec­ta­teurs – invités, témoins, ou spect-acteurs – déli­cate­ment pris à par­ti de ce moment de vie…

Un « théâtre d’immersion » inspiré à Hos­sein Tavâ­zonizâdeh par son intérêt pour l’architecture : « Par­fois je regarde une mai­son, une fenêtre ou une rue pen­dant des heures, et je sens qu’il y a là quelque chose que j’aime. La forme de Le Papil­lon (The But­ter­fly) s’inscrit dans le par­cours artis­tique de notre com­pag­nie. Nous util­isons l’’architecture du bâti­ment comme un organ­isme vivant, comme une entité qui nous guide dans une sorte de dia­logue. » Hos­sein et ses col­lab­o­ra­teurs ont pour habi­tude de tra­vailler avec le poten­tiel des lieux qu’ils investis­sent, sans rien forcer, en con­ser­vant le max­i­mum de ses pos­si­bil­ités en l’état : « C’est pourquoi nous nous ser­vons plutôt de la lumière naturelle (en fonc­tion des con­di­tions d’éclairage à dif­férents moments de la journée) et si pos­si­ble des appareils qui sont disponibles dans l’environnement immé­di­at. » L’œuvre doit donc s’adapter à cha­cun des nou­veaux écrin qui l’accueillent, plutôt que l’inverse, et à la présence des spec­ta­teurs. Leur prox­im­ité avec les acteurs, leur manière de réa­gir, la nature de leur présence renou­velée chaque soir – qui dépasse le rôle habituelle­ment muet des publics de l’ombre des salles tra­di­tion­nelles – influ­en­cent con­sid­érable­ment l’atmosphère générale de leurs céré­monies théâ­trales.

Basé sur une céré­monie tra­di­tion­nelle irani­enne, The But­ter­fly se déroule au moment pré­cis où un jeune homme demande offi­cielle­ment la main d’une jeune fille à ses par­ents. Il s’agit d’une tra­di­tion encore très vivante dans la société irani­enne, qui per­me­t­tait aux jeunes gens de se ren­con­tr­er pour la pre­mière fois avant le mariage. Si le rit­uel famil­ial se per­pétue aujourd’hui, l’évolution de la société irani­enne fait qu’ils lient bien sou­vent con­nais­sance longtemps avant de sceller leur union. Hos­sein rap­pelle l’usage : « On allait, avec des fleurs et des bon­bons, dans la mai­son de la famille de la jeune fille pour lui deman­der sa main. L’ouverture de la boîte de frian­dis­es (ou le fait que la jeune fille serve le thé aux invités) sig­nifi­ait que le mariage était accep­té. L’autre étape sym­bol­ique impor­tante était celle où les jeunes gens se voy­aient dans une cham­bre, pour se par­ler en privé, briève­ment… Vous imag­inez-vous que dans le passé, c’était, pour les jeunes mar­iés, la pre­mière fois qu’ils se voy­aient et dia­loguaient ? » Dans le spec­ta­cle, Hos­sein ren­verse ces usages qui ne lui sem­blent plus cor­re­spon­dre aux mœurs d’aujourd’hui : « Autre­fois, on choi­sis­sait une femme comme un objet dans un mag­a­sin, sans se souci­er de son point de vue – cela se passe encore sou­vent aujourd’hui ». Dans le spec­ta­cle, au con­traire, les jeunes femmes ne gar­dent pas le silence.
Elles s’adressent directe­ment aux spec­ta­teurs en deman­dant aide et jus­tice. Elles les scru­tent dans les yeux en implo­rant leur com­préhen­sion : « Je ne suis pas sûre que vous me com­prenez entière­ment. », revient comme un leit­mo­tiv…
Ce sont les jeunes filles ici qui remet­tent au jeune mar­ié (en l’occurrence, ce jour-là, une spec­ta­trice prise à par­ti) sa veste. Ce sont elles qui mènent la céré­monie, lui don­nent des fleurs et des bon­bons, cor­ri­gent ou réfor­ment la tra­di­tion.
Elles, encore, qui racon­tent l’histoire dans cette mai­son qu’elles se sont appro­priées pen­dant le proces­sus de créa­tion : « Au pre­mier regard, tout bâti­ment doit être étudié selon ses car­ac­téris­tiques. Par exem­ple, avant la Révo­lu­tion, une famille aris­to­cra­tique a vécu ici. Après la Révo­lu­tion, la mai­son a été con­trôlée par une agence de pub­lic­ité, puis par un ennuyeux bureau d’assurances, avant d’être aban­don­née… Cela nous a fait imag­in­er la vie d’une fille roturière, triste et soli­taire, puis celle d’un homme ambitieux et plein d’idéaux, et ensuite, celle d’un employé, seul au milieu d’ordinateurs et d’imprimantes. Tous ces sen­ti­ments et éner­gies rési­dent quelque part dans cette mai­son. On en reçoit tou­jours l’impact direct pen­dant le proces­sus de créa­tion. Les actri­ces et nous tous, entretenons une his­toire avec les objets de la mai­son. Nous avons choisi des noms et attribué des qual­ités morales pour cha­cun d’entre eux. » Hos­sein est con­va­in­cu que ce genre d’exercices per­met aux comé­di­ens de se famil­iaris­er avec l’espace, de s’y pro­jeter comme dans la mai­son de leur grand-mère. C’est comme s’ils prél­e­vaient « des idées du tis­su de l’architecture ».
Inspiré en cela par le tra­vail d’Hamid Pourazari (voir l’article de Fahimeh Naj­mi, « Théâtre uni­ver­si­taire en Iran » page XX), le jeune met­teur en scène rap­pelle ce qu’ils ont en com­mun mais aus­si ce qui les dif­féren­cient.
S’inspirer de l’environnement immé­di­at et accepter son impact direct dans la per­for­mance ; vivre avec les acteurs, ne pas avoir peur de faire autre chose… « Hamid fait du théâtre comme un musi­cien. Il écrit en jouant, comme un musi­cien qui impro­vise. Par exem­ple, nous ne nous asseyons pas pen­dant des heures pour par­ler.
On fait, on exé­cute, pour voir si ça con­vient. Tous les deux, nous pen­sons que le met­teur en scène n’est pas le Seigneur tout puis­sant… Mais nous n’avons pas le même rap­port à la langue. Pour Hamid, la langue est un matéri­au qui n’a pas en soi un sens très pré­cis. La sig­ni­fi­ca­tion s’appréhende dans l’ensemble, ses travaux ont une grande qual­ité musi­cale. » Hos­sein utilise égale­ment la langue comme un matéri­au de base, mais il l’exploite beau­coup. Quand bien même les textes ne sont pas totale­ment acces­si­bles pour les spec­ta­teurs, la musi­cal­ité de la langue, son « énergie et son his­toire sen­sorielle » per­me­t­tent de les attein­dre, au-delà de la bar­rière des langues : « Dans un fes­ti­val en Géorgie, j’ai ajouté un acteur géorgien pour com­bin­er trois langues : le per­san, l’anglais et le géorgien. Ces langues étaient , pour le spec­ta­teur local, respec­tive­ment incom­préhen­si­ble, qua­si com­préhen­si­ble et totale­ment com­préhen­si­ble. Nous n’avons pas fait ce tra­vail par souci de tra­duc­tion mais pour attein­dre la meilleure com­bi­nai­son des sonorités musi­cales… ».
The But­ter­fly offre un bel exem­ple de ce tra­vail. Un bruisse­ment de langues envelop­pant qui per­met de créer un cli­mat d’intimité entre les actri­ces et le pub­lic, le temps d’une réu­nion de famille…

Théâtre
Critique
Portrait
Hossein Tavâzonizâdeh
2
Partager
Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Pro­fesseure asso­ciée à la Sor­bonne Nou­velle, Sylvie Mar­tin-Lah­mani s’intéresse à toutes les formes scéniques con­tem­po­raines. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive aux...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Précédent
6 Juin 2017 — En prélude à la parution du #133 d’Alternatives théâtrales (« Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes ? » à…

En prélude à la paru­tion du #133 d’Alternatives théâ­trales (« Quelle diver­sité cul­turelle sur les scènes européennes ? » à paraître en novem­bre 2017) et en par­al­lèle à notre enquête menée auprès des directeurs de…

Par Alternatives théâtrales
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements