Les attentes des stéréotypes du “doudouisme”

Danse
Entretien

Les attentes des stéréotypes du “doudouisme”

entretien avec Chantal Loïal

Le 19 Juin 2017
NOIR DE BOUE ET D’OBUS, Chorégraphie Chantal Loïal. Photo Patrick Berger.
NOIR DE BOUE ET D’OBUS, Chorégraphie Chantal Loïal. Photo Patrick Berger.
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Sylvie Mar­tin Lah­mani : Com­ment définiriez-vous votre tra­vail de créa­tion artis­tique, envis­agé à l’aune de la « diver­sité cul­turelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein des insti­tu­tions cul­turelles ?

Chan­tal Loïal : Je mène, depuis vingt ans, avec ma com­pag­nie, un tra­vail de fond porté par des choix esthé­tiques sin­guliers, mais égale­ment une force d’en­gage­ment socié­tal et citoyen, en réso­nance sen­si­ble avec l’idée forte de “créoli­sa­tion” qui, selon Edouard Glis­sant, “n’est pas une sim­ple mécanique du métis­sage : c’est le métis­sage qui pro­duit de l’i­nat­ten­du.” Cette “troisième” voie, celle de la créoli­sa­tion, enten­due comme “iden­tité mul­ti­ple”, ouverte sur le monde et la mise en rela­tion des hommes, des cul­tures et des imag­i­naires apporte des répons­es réal­istes et prag­ma­tiques aux prob­lé­ma­tiques con­tem­po­raines du vivre et de l’a­gir ensem­ble.

Au terme “diver­sité”, gal­vaudé et réduc­teur à mon goût, notam­ment en matière cul­turelle, je préfère l’idée d’ ”altérité” qui inter­roge plus pro­fondé­ment les notions de stéréo­types, spé­ci­ficités cul­turelles et/ou sociales et attise la curiosité vers des espaces de décou­verte rich­es et ouverts. Car c’est bien le dia­logue avec l’autre et l’ou­ver­ture au monde qui doivent être priv­ilégiés à mon sens et non un échan­til­lon­nage ou saupoudrage de façade.

S. M.-L. : Avez-vous le sen­ti­ment de subir, à titre per­son­nel, une iné­gal­ité de traite­ment en tant qu’artiste issu de l’immigration ; ou d’être vic­time d’une forme de stig­ma­ti­sa­tion, voire de ségré­ga­tion cul­turelle qui ne s’avoue pas en tant que telle ? 

C. L. : Je suis une artiste d’o­rig­ine antil­laise, donc française, je ne suis donc pas con­sid­érée comme “issue de l’im­mi­gra­tion” au sens actuel. Cepen­dant, à tra­vers mon tra­vail, je porte les couleurs de ma cul­ture et de ma com­mu­nauté.
Le tra­vail que je mène, les thème que je choi­sis, puisent dans mes racines et sont par­faite­ment assumés, avec les risques qu’ils com­por­tent, c’est-à-dire un accueil par­fois réti­cent à voir abor­der des sujets jugés « sen­si­bles », qui pointent du doigt des facettes peu glo­rieuses de notre his­toire com­mune ou de nos sché­mas men­taux tels que l’esclavage ou la dis­crim­i­na­tion. Cette frilosité peut s’ac­com­pa­g­n­er égale­ment, selon les publics, d’une attente non sat­is­faite de retrou­ver les stéréo­types de ce que l’on pour­rait désign­er sous le terme de « doudouisme » , c’est à dire un folk­lore ultra-marin réduit à sa stricte part d’ex­o­tisme « posi­tif » et réduc­teur, au détri­ment de pans entiers de la cul­ture transat­lan­tique prob­a­ble­ment moins con­fort­a­bles pour de nom­breux pro­gram­ma­teurs ou insti­tu­tions cul­turelles.

S. M.-L. : Plus générale­ment, les artistes issus de l’immigration souf­frent-ils d’un déficit de vis­i­bil­ité sur les scènes européennes ? Ou au con­traire d’une forme de pro­mo­tion par­ti­sane et mil­i­tante ? 

C. L. : Quand pro­mo­tion il y a, pour nous, artistes qui tra­vail­lons au long cours, ces coups de pro­jecteurs médi­a­tiques et/ou poli­tiques sont vécus en tant que tels, comme “faits du Prince” et retombent bien sou­vent comme des souf­flés. Pour preuve, à notre échelle, l’ ”Année des Out­re-mer”, lancée en grande pompe en 2011. L’ob­jec­tif offi­ciel était bien sûr de mieux faire con­naître la var­iété et la grande richesse des pop­u­la­tions, des cul­tures et des ter­ri­toires d’Outre-Mer. Dans notre domaine, la danse con­tem­po­raine, aucun événe­ment majeur n’a été pro­gram­mé sur les grandes scènes publiques, la majorité des spec­ta­cles liés à cet événe­ment ayant été relégués à de plus petites scènes, essen­tielle­ment faute de bud­get dédié à la pro­mo­tion de ces cul­tures, même pour cette année 2011. En ter­mes de “gain en vis­i­bil­ité”, le bilan de cette opéra­tion est très mit­igé.

Par­al­lèle­ment, pour des pro­jets récents plus ambitieux por­tant sur la cul­ture africaine, des com­pag­nies comme la mienne en sont exclues par principe, du sim­ple fait par exem­ple de leur domi­cil­i­a­tion en métro­pole et non aux Antilles, mal­gré les liens unis­sant ces deux cul­tures.

Dans ces proces­sus pyra­mi­daux émanant des autorités min­istérielles, il devient très dif­fi­cile de “décen­tralis­er” les thé­ma­tiques, dès lors que les volon­tés poli­tiques s’im­posent avant tout à tra­vers les bud­gets dédiés à leur sou­tien.

ON T’APPELLE VENUS, Choregraphie et interpretation Chantal Loial. Photo : Patrick Berger.
ON T’APPELLE VENUS, Chore­gra­phie et inter­pre­ta­tion Chan­tal Loial. Pho­to : Patrick Berg­er.

S. M.-L. : Peut-on dire que le spec­ta­cle vivant en France est encore pris­on­nier d’un « sys­tème d’emplois » d’autant plus effi­cace qu’il ne se déclare pas comme tel, voire qu’il n’a pas con­science de lui-même ? 

C. L. : Le “com­mu­nau­tarisme”, d’après ce que je vis pro­fes­sion­nelle­ment, est beau­coup plus pal­pa­ble, à mon avis, au niveau des insti­tu­tions cul­turelles. Celles-ci cul­tivent, con­sciem­ment ou non, un entre-soi figé qui exclut de fait ceux qui en maîtrisent mal les codes ou ne font pas par­tie des com­mu­nautés sociales qui en con­stituent les instances déci­sion­nelles, et auto-entre­ti­en­nent un con­formisme de bon aloi, sou­vent sous un faux pré­texte de “poli­tique­ment cor­rect”.

Avec main­tenant entre 50 et 80 représen­ta­tions par sai­son à notre act­if, et un suc­cès crois­sant depuis 20 ans tant auprès des publics que des média, sans avoir béné­fi­cié à ce jour d’au­cun con­ven­tion­nement, je crois plus que jamais à la légitim­ité de notre place dans le monde de la danse con­tem­po­raine et me réjouis rétro­spec­tive­ment de ne pas avoir dû renon­cer à ce qui fait ma force et la rai­son d’être de ma com­pag­nie.

À mes récentes deman­des de sou­tien à la créa­tion, il m’a été opposé que pri­or­ité était don­née à l’ ”émer­gence”. Puisqu’il sem­ble qu’un renou­velle­ment soit décidé et forte­ment encour­agé dans les propo­si­tions cul­turelles, com­ment les instances déci­sion­nelles qui pré­cisé­ment ont la pré­ten­tion de con­stru­ire le monde cul­turel de demain, pour­raient elles-mêmes s’af­franchir de ce “rafraichisse­ment”, ne pas recon­sid­ér­er leur sys­tème de fonc­tion­nement et ne pas s’in­ter­roger sur leur légitim­ité, elles-aus­si ?

S. M.-L. : Peut-on y voir la résur­gence d’une his­toire du théâtre mar­quée par son inca­pac­ité à penser l’altérité, comme le mon­trent les spec­ta­cles exo­tiques, freaks shows ou slide shows, dont Sarah Baart­man la « vénus hot­ten­tote » ou « vénus noire »,  le clown Choco­lat et la danseuse Joséphine Backer ne sont que les fig­ures sail­lantes ? Com­ment vous situez-vous par rap­port à ces artistes pio­nniers can­ton­nés dans des rôles racisés, voire com­plète­ment essen­tial­istes ?

C. L. : Dans l’in­con­scient col­lec­tif, ces fig­ures “clichés” sont un point de départ intéres­sant, à con­di­tions bien sûr de s’en servir comme “catal­y­seur”, pour amen­er le pub­lic à s’in­ter­roger dans un pre­mier temps sur l’u­til­i­sa­tion qui a été faite de ces stéréo­types, puis sur ses effets per­vers.

L’hu­mour et le beau : dédrama­ti­sa­tion, pas de “cul­pa­bil­i­sa­tion” mais on ne peut pas être tou­jours dans le con­sen­suel, sor­tir des dénis, des refus de mémoire et ré-instiller de l’hu­man­ité dans des sit­u­a­tions qui en sem­blaient privées. Faire vibr­er cette fibre humaine dans les per­son­nages réin­car­nés, et jouer de la con­ta­gion avec le pub­lic.

(…)

La suite de cette entretien est disponible gratuitement sur notre site.

 

 

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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