Remettre en question nos privilèges

Danse
Entretien

Remettre en question nos privilèges

entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui

Le 16 Oct 2017
"Icon". Photo Mats Backer
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Chris­t­ian Jade : Quand on est fils d’immigrés en Bel­gique (avec des par­ents musul­mans et catholiques), com­ment s’en tire-t-on ?

Sidi Lar­bi Cherkaoui : Quand on est enfant d’immigrés, on ne peut pas se retourn­er sur les richess­es de nos par­ents. Parce que ces richess­es-là sont dans le pays d’origine. Même s’il est dif­fi­cile pour un jeune Fla­mand de trou­ver du tra­vail, il a un con­texte famil­ial beau­coup plus sta­ble pour être ras­suré et se faire aider. Pour ceux qui n’ont pas ces ressources-là dans leurs familles, c’est tout ou rien. Soit on a de la chance, soit on tra­vaille dur, et ça paie. Et à un moment don­né, on arrive quelque part. Soit on n’a pas de chance et on n’a nulle part où se réfugi­er.

C. J. : Votre cas ne devait pas être facile puisque vous aviez un père musul­man et une mère chré­ti­enne fla­mande. En out­re, vous n’aviez pas fait de grandes études. Votre chance vous a été offerte par un con­cours télévisé qui a attiré l’attention d’Alain Pla­tel.

S. L. C. : J’ai essayé d’être à l’écoute de ce qui me plai­sait vrai­ment. Depuis que j’étais tout petit, je sen­tais que j’avais envie d’être un artiste. J’ai eu la chance d’être un bon élève (j’étais très atten­tif à l’école), j’avais des pro­fesseurs excep­tion­nels dans toutes les branch­es. Ils voy­aient en moi un cer­tain poten­tiel. J’ai eu deux chances. D’une part, j’avais une très bonne mémoire (par exem­ple, pour la danse, je me rap­pelais des mou­ve­ments, du con­tenu de cer­taines choses, des inten­tions de ceux qui me com­mandaient, etc.). D’autre part, j’avais un énorme intérêt pré­coce pour l’art et une capac­ité de me bat­tre pour aller au-delà des attentes des autres. Beau­coup de gens ont essayé de m’influencer mais je n’en fai­sais qu’à ma tête. C’est une ques­tion d’instinct qui per­met de suiv­re la bonne voie et le meilleur choix.

C. J. : Je retiens que l’important dans votre ado­les­cence c’est d’avoir eu de bons pro­fesseurs qui ont repéré vos tal­ents, ain­si que l’importance de l’enseignement dans votre for­ma­tion. Mais dans votre milieu avec un père musul­man et une mère catholique, impos­er la danse et votre homo­sex­u­al­ité a dû être une lutte très dif­fi­cile.

S. L. C. : La société en général, aus­si bien fla­mande que musul­mane, est com­plexe. J’ai beau­coup d’amis arabes danseurs ; aus­si bien en hip-hop qu’en danse con­tem­po­raine. Ils ont du suc­cès et des par­ents immi­grés. Il y en a plus qu’on ne le pense. Ce n’est pas facile quand on a des bâtons dans les roues au départ, mais ça nous oblige à être créat­ifs. C’est dif­fi­cile d’avoir des gens con­tre vous ; par exem­ple des racistes. Je me suis vite ren­du compte que tous mes défauts vis-à-vis d’une société con­ser­va­trice (mes prob­lèmes liés à mon homo­sex­u­al­ité et mon orig­ine arabe, ou le fait que je sois blanc et belge) pou­vaient venir des deux com­mu­nautés. Mais tout cela peut devenir une force. Je ne me suis jamais sen­ti défi­ni par un seul aspect de ma per­son­nal­ité. Je me sens flex­i­ble et trans­formable. Et tous ces élé­ments mis ensem­ble sont des atouts. Je fais un peu de judo avec toutes mes con­tra­dic­tions. Ain­si, elles devi­en­nent des forces, pas des faib­less­es.

C. J. : Le racisme est-il fon­da­men­tal pour vous ?

S. L. C. : J’ai 41 ans et je le subis tou­jours.

C. J. : Pou­vez-vous pré­cis­er ce que vous voulez dire par là ?

S. L. C. : J’ai de la peine à en par­ler parce que je n’aime pas me met­tre dans le rôle de la vic­time. Ce genre de dis­crim­i­na­tion touche aus­si les femmes musul­manes et européennes. Ont-elles le droit ou non de mon­tr­er leurs seins ? Ont-elles le droit d’avoir un voile islamique ? Ont-elles le droit d’avoir un con­trôle sur leurs corps ? En tant qu’homme, on doit con­sid­ér­er le sort des femmes avec empathie puisque musul­man ou pas, nous ne serons jamais des femmes. En tant qu’homme, jamais un polici­er ne vient vous embêter si vous êtes torse nu à la plage ou si vous portez un voile. On a beau­coup plus de droits que les femmes, et de con­trôle de notre corps. Et pour­tant, on se dit qu’on a tous les mêmes droits. Mais même en Europe, nous n’avons pas les mêmes droits. En tant qu’homme, je me sens donc priv­ilégié. D’autant plus qu’en tant qu’artiste je peux jouer sur la nudité sans qu’on me le reproche. Alors qu’un homme ordi­naire serait éti­queté de « per­vers ». Je crois qu’il est impor­tant de remet­tre sou­vent en ques­tion nos priv­ilèges.

(…)

L'intégralité de cet entretien sera prochainement disponible en accès libre dans le dossier "diversité" proposé sur notre site.

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Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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