JOSEPH DANAN : Écris-tu encore des pièces de théâtre ?
Michel Deutsch : Mettons que je n’en écris plus pour le moment, mais rien n’interdit que je revienne un jour à un texte dialogique avec une fable et des personnages… Un texte qui se souviendrait de Tchekhov tout en n’oubliant ni Brecht, ni Beckett. À mon avis d’ailleurs, c’est Tchekhov et Dostoïevski qui ont été les auteurs essentiels de la dramaturgie européenne dans ce siècle.
C’est eux qui ont, si on peut dire, initié cette « nouvelle » écriture qui reste la nôtre. On pourrait bien entendu trouver d’autres « pères » : Strindberg par exemple, ou Mallarmé… Sans entrer dans cette discussion concernant les pères, je dirais seulement que pour mon travail, ou plutôt du point de vue de mon travail, ce sont Tchekhov et Dostoïevski qui me semblent importants. Il faut remarquer que Dostoievski n’est pas un auteur de théâtre mais que ses romans ont toujours fasciné les hommes de théâ-tre. Souvenons-nous de Jacques Copeau…
Maintenant il est clair que l’écriture de Brecht est absolument déterminante pour mes bricolages. Sans Brecht, je ne me serais tout simplement pas intéressé au théâtre. Cela dit, comment travailler sans tenir compte de Beckett, de la césure qu’il produit dans le texte (dans le mouvement de la parole, dans la langue, par le silence, etc.), ou encore de Heiner Müller ? De « l’opération » müllerienne.
L’écriture müllerienne a souvent trait au geste de l’éviscération, de l’opération
- l’opération militaire, l’opération chirurgicale, l’opération textuelle, l’opération qui consiste à trancher dans le vif, sans anesthésie, et qui a nom révolution (laquelle révolution ne sauvant que ceux qui la font, comme on sait !), l’opération à siècle ouvert !…
J. D.: Tu veux dire que ces auteurs marquants du siècle nous ont obligés à repenser la forme de la pièce de théâtre.
Rendent-ils caduque la forme du drame ?
M. D.: Si le drame veut dire prééminence absolue du dialogue, absence de l’auteur (du sujet de l’énonciation) par le jeu de l’apparition-disparition de la langue, description du milieu, si drame veut dire personnages, psycho-logie, remue-ménage, mais aussi scène frontale, jeu dramatique séparé du public par le rideau rouge, la rampe et le noir dans la salle, etc., alors oui, il est certain que, de Brecht à Beckett et à Artaud, le drame n’a plus été une « forme » productive vivante du théâtre. Le drame reste prisonnier de la forme et du contenu, et on ne peut pas dire de la « parole soufflée », du cri, du silence ou de la distanciation qu’ils s’inscrivent dans cette problématique. Il convient de remarquer toutefois que le « drame bourgeois » est devenu une des « formes » dominantes du spectacle : du boulevard aux séries télévisées.
J. D.: Oui, mais ce drame bourgeois n’est pas celui qui nous intéresse. Si l’on remonte à l’étymologie, le drame, c’est une forme dans la quelle une action ou une série d’actions se jouent. Et ton théâtre prend la forme du drame, dans DIMANCHE, dans CONVOI…
M. D.: Tu veux parler de cette partie de mon théâtre qui tombe sous la rubrique « Théâtre du quotidien ».
Mes premières pièces ne relevaient pas du quotidien — c’étaient des pièces d’agit prop écrites dans le cadre du théâtre universitaire. Ensuite j’ai écrit RUINES, une pièce qui « surphrase », si on peut dire, un certain kitsch wagnérien.