Après le rêve d’un théâtre sans limites. mêlant l’image, la musique. le corps, la voix, d’un théâtre collectif faisant appel à la participation de tous. d’un théâtre qui aurait aboli les frontières de l’art et de la vie (de la scène et du public}, voic le temps des affirmations singulières, fragmentées, des gestes ramenés à un corps qui n’est que ce corps-ci, particulier, pris à ses limites.
Au moment où retombe la vague d’invention qui avait bouleversé le théâtre depuis les années soixante, au moment où les concepts d’avant-garde et même de modernité sont malades d’inflation, des démarches solitaires comme celle de Patrick Beckers nous rappellent discrètement la saveur d’un nouveau presque intemporel.
Après le rêve d’un théâtre sans limites, mêlant l’image, la musique, le corps, ta voix, d’un théâtre collectif faisant appel à la participation de tous, d’un théâtre qui aurait aboli les frontières de l’art et de la vie (de la scène et du public), voici le temps des affirmations singulières. fragmentées. des gestes ramenés à un corps qui n’est que ce corps-ci, particulier, puis à ses limites. Chacun se retrouve seul, public et comédien renvoyés dos à dos. ou plutôt face à face, avec une conscience plus aiguë que jamais non de la dérision mais du dérisoire. A la croyance dans les possibilités infinies du corps libéré succède la conscience de son infirmité et de sa maladresse. La fusion n’a pas eu lieu : la scène envahie un moment par la nostalgie du monde naturel (le théâtre du corps) se retrouve presque vide c’est le temps (qui n’a pas cessé, à vrai dire) des Farid Chope!, des Carlos Traffic. des Patrick Beckers. bricolant chacun à sa manière un semblant de vie qu’ils trimballent avec ses accessoires dans une petite valise. C’est un temps d’hommes — de femmes si on pense à Zouc — empêtrés d’eux-mêmes, empêtrés d’habits, d’objets, de tics, tenus aux basques par le quotidien.
Patrick Beckers emporte sur son ile quelques objets sauvés du naufrage, de ce naufrage qui fait de toute vie une survie. Nouveau Robinson, il ne construit pas sa cabane avec tes ressources d’une luxuriante végétation, mais avec les résidus d’une culture commune, rejetés sur sa plage : une Image de Marylin, un seau, un oiseau de papier, un poisson en plastique sur des roulettes, un chapeau, une veste… Aucune complaisance pourtant dans le sordide : ces objets ne sont pas des déchets.
Ce sont des objets de seconde main
un peu usagés seulement mais qui n’ont pas atteint ce dégré de désagrégation qui permettrait de les livrer à des métamorphoses subjectives. Bien au contraire, ils s’imposent dans leur réalité exigeante, ils commandent, et on ne peut que leur répondre.
Les objets sont des acteurs Ce n’est pas le comédien qui les choisit mais il est en quelque sorte choisi par eux qui se mettent sur sa route. Patrick Beckers s’organise donc avec ce qui lui arrive. L’acte théâtral n’est pas pour lui de maîtrise mais de disponibilité : c’est une réceptivité organisée de l’accident. Son spectacle est d’ailleurs un jeu d’accidents et d’incidents mis bout à bout, enchainés dans un mouvement qui les laisse à leur hétérogénéité. qui ne tente pas de réduire leur dis-location, leur appartenance à des lieux disparates. Patrick Beckers ne décide pas de son théâtre : le théâtre lui tombe dessus.
C’est comme si tout à coup j’étais enceint
Il peut rester des mois à végéter, à attendre, à vivre. Il est bouddhiste pendant quatre ans, il se.glisse dans l’ombre de Robert Wilson, il se met à l’école du Mime Marceau, du clown Dimitri, il .se mêle à la Marna d’Amsterdam, il passe trois mois à Bali. Et puis soudain l’envie de faire lui-même du théâtre le prend ou le reprend : c’est le coup de foudre, et il est habité. Alors il se remet à fureter, à bouger, à parler. Il essaie tout seul ses numéros et il s’éprouve dans un regard ami. Il faut qu’il accouche de cette chose qu’on nomme un spectacle et qui est pour lui aux antipodes du spectaculaire. L’improvisation se fixe peu à peu dans une forme quasi définitive mais qui reste sensible aux inflexions du public.
Il joue, il jongle, sans que ses gestes et ses objets prennent valeur expressionniste ou
symbolique. L’humour déjoue toute logique ou crée une logique de l’illogique.
L’humour donne aux choses une évidence : dans l’humour elles s’imposent, on ne peut pas en faire n’importe quoi Le travail de Patrick Beckers est aux antipodes de la performance. La performance, c’est pouvoir aller jusqu’au dépassement des limites, montrer qu’on peut faire n’importe quoi avec son corps et avec les choses. Or ici, le corps prend au contraire mesure de sa contingence, et de celle du petit monde auquel il peut avoir accès : Il fait avec. Il s’agit de s’en accomoder plutôt que de le façonner.
Je parle en charabia
Il a appris à parler avec Henri Michaux, dont les textes ont permis sa première participation à un spectacle, du temps de ses études. Les mots sont des mots, une voix, des sonorités de plusieurs langues ou d’aucune langue. Les mots sont aussi des objets qui ne viennent pas remplir le silence mais le trouer, laissant autour d’eux de grands vides. Il faut détourner les mots de leur sens, dévoyer leur héritage et
leur usage.
Débloquer le quotidien
Débloquer le quotidien, c’est un peu sa hantise, Il l’a d’abord essayé comme mime, le visage peint en blanc, dans les rues de Bruxelles, d’Ostende… Mais il neveut pas faire peur. ni vraiment rire. Il veut surprendre, il veut entrer dans la ronde et faire entrer ceux qu’il imite dans leur propre ronde. Jouez avec moi. Je joue avec vous : accueillez moi.
Ensuite il a transporté son jeu sur une scène, parce qu’il veut que le jeu soit proposition plutôt qu’intervention. Il se met en face de nous. Il n’interpelle plus directement. au risque de violenter. Il accentue la distance qui permet d’apprivoiser. Il se donne à voir. Il s’installe bien calmement en face des regards.
La scène à l’italienne ne me dérange pas L’architecture a peu d’importance. L’espace est créé par le travail théâtral lui-même, le rapport du geste et des objets. Quelquefois même la disposition frontale est nécessaire : quand il porte un masque qui ne supporte pas le profil. ou qui porte son profil dans sa face.