Donne-moi une clé et j’ouvrirai des portes

Théâtre
Parole d’artiste

Donne-moi une clé et j’ouvrirai des portes

Le 25 Avr 2016
Florence Minder à La Bellone (Bruxelles), 2015. Photo Fabienne Cresens.
Florence Minder à La Bellone (Bruxelles), 2015. Photo Fabienne Cresens.
Florence Minder à La Bellone (Bruxelles), 2015. Photo Fabienne Cresens.
Florence Minder à La Bellone (Bruxelles), 2015. Photo Fabienne Cresens.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 128 - There are aslternatives!
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Invitation

En octo­bre dernier j’ai eu l’opportunité d’être l’une des pre­mières artistes à béné­fici­er d’une rési­dence de recherche de trois semaines à La Bel­lone. Cette rési­dence s’accompagnait égale­ment de la pos­si­bil­ité de faire venir deux inter­venants de mon choix, avec lesquels j’allais m’entretenir publique­ment. Ren­dez-vous inti­t­ulés One-to-one. La direc­trice, Mylène Lau­zon, m’invitait après avoir vu mon dernier for­mat court. Je dis­poserais donc d’un espace de tra­vail dans lequel je pour­rais faire ce que je voudrais, ce qui me serait utile.

Déclaration

En plus du lieu à dis­po­si­tion, j’apprenais que la rési­dence offrait un petit bud­get salar­i­al. Par­lons franche­ment : il était à peine plus élévé que le salaire min­i­mal en Bel­gique1.

La direc­trice et moi en avons par­lé toutes portes ouvertes. Nous auri­ons pu déclar­er le bud­get TTC alloué à ma rési­dence sur les deux jours d’entretien. J’y aurais gag­né mais nous y auri­ons tous per­du. J’ai dit : « On déclare tout. J’en ai marre de tra­vailler toute l’année comme une dingue et que l’ONEM2 n’en voie pas les motifs cru­ci­formes sur ma carte azurée. À l’heure où le statut d’artiste est plus que jamais mis en dan­ger, le secteur doit pou­voir établir des sta­tis­tiques val­ables et se baser sur une économie réal­iste. Il me sem­ble néces­saire que, dans le secteur des arts vivants, les mots salaire ou tra­vail retrou­vent leur sens. »

Décision

Petit salaire mais grande dif­férence car, con­crète­ment, cela sig­ni­fie qu’à Brux­elles nous avons main­tenant un lieu qui recon­naît spé­ci­fique­ment le tra­vail de recherche de l’artiste. Pas celui des répéti­tions, ni celui des représen­ta­tions. Mais celui qui se fait en amont, en pro­fondeur. (Je ne par­le pas non plus des heures non payées passées à rédi­ger des deman­des de sub­ven­tions, gér­er l’admi­nistration des com­pag­nies ou la pro­duc­tion des spec­ta­cles.) Je par­le du tra­vail pro­fond et intime qui fait émerg­er une œuvre. Là où la matière se forme et les liens se tis­sent : doc­u­men­ta­tion, recherche, lec­ture, relec­ture, écri­t­ure, réécri­ture. L’effort soutenu qui prend par­fois des années : celui de la dra­maturgie, celui des détours, celui des essais ratés qui con­duisent pour­tant aux trou­vailles. Bref, ce fameux tra­vail pour lequel il est si dif­fi­cile d’être payé. (Il ne sem­ble bizarre à per­son­ne que les sci­en­tifiques soient payés pour leurs recherch­es. Et je m’en réjouis. Il est bien­venu que le domaine des arts vivants puisse, lui aus­si, béné­fici­er de cet opti­misme.) Les con­trats signés, je me lançai dans l’aventure.

Plaisir

Le 5 octo­bre, je débar­quai 46 rue de Flan­dres avec un objec­tif que je m’étais fixé : tra­vailler sur le sujet et la dra­maturgie de Épisode 02 : Le réel des uns, la fic­tion des autres, un court
for­mat pro­gram­mé pour mars 2016. 

Je dis­po­sai soigneuse­ment livres, dossiers, plas­tique, car­ton, stiff et ordi­na­teur dans le stu­dio dont on m’avait très sim­ple­ment don­né les clés qui ouvraient égale­ment les ser­rures de l’entrée. Quelques pro­jecteurs, deux micros, des enceintes, une con­nex­ion inter­net, un tapis de danse, un vidéo­pro­jecteur, une équipe souri­ante et tou­jours prête à répon­dre à mes deman­des. Bref. Un espace de tra­vail. Chez moi pour trois semaines. 

Tra­vailler sans aucune oblig­a­tion de présen­ter quoi que ce soit. Pas de pres­sion. La seule struc­ture qui s’imposait ? Les deux entre­tiens publics : un temps de pré­pa­ra­tion pas nég­lige­able, vu que chaque échange dure deux heures. Je n’avais jamais mené ce genre d’interview jusque-là, et encore moins dans le but de crois­er ma pra­tique avec celle de mon invité. Le con­cept du One-to-One par­ticipe d’un décloi­son­nement bien­venu : non seule­ment pour les deux inter­locu­teurs sur scène mais aus­si pour les audi­teurs qui peu­vent prof­iter gra­tu­ite­ment de ces ren­con­tres. Des débats ou échanges se font par­fois dans le cadre des représen­ta­tions mais voilà soudain un con­texte spé­ci­fique qui invite le spec­ta­teur au cœur d’un proces­sus trans­ver­sal de réflex­ion.

Dialogue
  1. Trois semaines de tra­vail (qui inclu­ent la pré­pa­ra­tion et les inter­views publiques de deux per­son­nal­ités pen­dant deux heures) = un salaire de trois semaines basé sur un men­su­el brut de 1.547,30 €. ↩︎
  2. ONEM = Office Nation­al de l’Emploi (Bel­gique). ↩︎
  3. Un bud­get TTC de 500 € pour chaque invité. ↩︎
  4. http://james.shepherd-barron.com Inter­view de Thomas Hirschhorn au sujet de son expo­si­tion Abstract Resis­tance, 2010. https://www.youtube.com/watch?v=LI1RLhhLeDQ ↩︎
  5. Au sujet d’Andy Kauf­man : Comique extrémiste. Andy Kauf­man ou le Rêve Améri­cain Flo­ri­an Keller, 2012. ↩︎
  6. L’Usage du monde, Nico­las Bou­vi­er, pre­mière paru­tion en 1963 à la Librairie Droz. ↩︎
  7. Je vous salue Sara­je­vo, Jean-Luc Godard, 1993. ↩︎
  8. À pro­pos de Bruno Manser (1954 – 2005): http://www.rts.ch/archives/tv/information/tell-quel/3447026bruno-manser.html) ↩︎
  9. « Théorème d’insuffisance » de Kurt Gödel in La réal­ité de la réal­ité, Paul Wat­zlaw­ick, 1978. ↩︎
  10. La réal­ité de la réal­ité, Paul Wat­zlaw­ick, Édi­tion du Seuil, 1978. ↩︎
  11. La Part mau­dite, Georges Bataille, Édi­tions de Minu­it, 1949. ↩︎
  12. https://solangeteparle.com/ ↩︎
  13. Sur la mutu­al­i­sa­tion des savoirs, Daniel le Scor­net :
    https://www.youtube.com/watch?v=yuGBX1i3h7E ↩︎
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Florence Minder
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Florence Minder
Artiste suisse basée à Bruxelles. Son travail se situe dans les champs du théâtre, de...Plus d'info
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