Faustin Linyekula : le corps pour patrie

Danse
Portrait

Faustin Linyekula : le corps pour patrie

Le 12 Juil 2007
Papy Ebotani, Madrice Imbujo, Djodjo Kazadi dans SPECTACULARLY EMPTY II de Faustin Linyekula, 2003. Photo Antoine Tempé.
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Papy Ebotani, Madrice Imbujo, Djodjo Kazadi dans SPECTACULARLY EMPTY II de Faustin Linyekula, 2003. Photo Antoine Tempé.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 93 - Ecrire le monde autrement
93

« Terre d’exil ou pays natal. Peut-être que partout n’est qu’exil, peut-être ma seule patrie vraie n’est que mon corps. J’essaierai donc de sur­vivre comme une musique encore à écrire. » (Faustin Linyeku­la)

DANSER pour retrou­ver son nom sous l’amoncellement de ruines et de men­songes lais­sés en héritage, tel est l’enjeu de la pra­tique choré­graphique de Faustin Linyeku­la. Il fait par­tie de cette généra­tion d’artistes d’Afrique fran­coph­o­ne qui, au détour des années 90, s’engagent dans une démarche artis­tique en butte avec l’esthétique africaine soi-dis­ant héritée de la tra­di­tion ances­trale, et tourne le dos à toute quête d’authenticité. C’est une généra­tion révoltée qui a le sen­ti­ment d’avoir été grugée par les Anciens, par ceux-là mêmes qui, à leur tour, après la coloni­sa­tion, ont édi­fié de nou­veaux men­songes. Les années 90 sont le temps des élec­tro­chocs. La guerre civile au Con­go, après le géno­cide rwandais, est un déto­na­teur pour ceux qui ont oublié leur nom, tel que Faustin se définit lui-même, car il appar­tient à cette généra­tion qui a con­science de devoir con­stru­ire son iden­tité sur du vide. Pour le Togo­lais Kos­si Efoui, « ce n’est plus le temps des for­mules-hamac du style “en Afrique, quand un vieil­lard meurt, c’est une bib­lio­thèque qui brûle”». Ces for­mules séduisantes selon lui ser­vent de « reposoir » à la con­science et empêchent surtout de s’interroger sur la valeur de ces bib­lio­thèques qui ne recè­lent peut-être que des livres en car­ton-pâte1. L’Ivoirien Kof­fi Kwahulé affirme, de son côté, com­bi­en sa con­science africaine est dev­enue une con­science dias­porique, autrement dit une con­science mar­quée par une béance qui la sous-tend et la struc­ture en même temps. Pour lui, il faut pou­voir à présent penser le monde et écrire avec « cette faille entre ce que l’on est devenu et là d’où l’on vient : on n’est plus d’où l’on vient et on n’est pas ce que l’on devient. »2 Cet « entre » doit pou­voir devenir un absolu, un absolu para­dox­al fait de vide et d’absence, de doute et de perte. Il y a la néces­sité d’accepter de se per­dre pour mieux se retrou­ver, autrement dit la néces­sité de con­stru­ire un devenir sur la dis­pari­tion même.

Quand l’identi-terre se dérobe sous les pas…

Faustin racon­te s’être réveil­lé un matin avec le sen­ti­ment que tout n’avait été que men­songes autour de lui, jusqu’à sa pro­pre iden­tité qui n’était que trucage : « Je dis sou­vent que je danse pour retrou­ver mon nom. Ce qui sup­pose que je dois l’avoir oublié », con­fie-t-il à Bibish Mum­bu avec qui il signe aujourd’hui la mise en espace de LA FRATRIE ERRANTE, un spec­ta­cle présen­té en mai au Vieux Colom­bier sous l’égide de Cul­tures­France. Il racon­te com­ment c’est avec la chute de Mobu­tu qu’il s’est décou­vert un prénom, com­ment du jour au lende­main le Zaïre est devenu République démoc­ra­tique du Con­go et Kabi­la a rem­placé Mobu­tu, com­ment on a effacé les anciens héros pour en met­tre de nou­veaux, com­ment le lion de l’un a rem­placé le léopard de l’autre. Sous Mobu­tu, une loi instau­rée en 1971 qui répondait à sa poli­tique de retour à l’authenticité inter­di­s­ait, sous peine de prison, de porter un prénom étranger, autrement dit un nom qui ne soit pas issu de la tra­di­tion. On por­tait un nom et un post-nom qui pour lui était Ngoy, le nom de son père. Aus­si, jusqu’en 1999, son prénom Faustin ne pou­vait fig­ur­er sur ses pièces d’identité. Mais il a décou­vert aus­si que la pra­tique du nom de famille n’était apparue au Con­go que dans les années 1930 avec la coloni­sa­tion… Avant, dans sa com­mu­nauté d’origine, on por­tait un nom lié à son his­toire et aux cir­con­stances de sa nais­sance. Quel para­doxe iden­ti­taire : Linyeku­la, le nom africain, était un héritage colo­nial, tan­dis que Faustin, le nom occi­den­tal, deve­nait une recon­quête de lib­erté con­tre la dic­tature. Ce sen­ti­ment bru­tal de manip­u­la­tion iden­ti­taire qui con­duit à l’amnésie volon­taire d’un pan de ses orig­ines selon le sens du vent poli­tique qui souf­fle a été déter­mi­nant dans l’histoire de son engage­ment artis­tique : « Un jour de mai 1997, j’ai appris à la radio que Mobu­tu était chas­sé du pou­voir, que mon pays se nom­mait désor­mais République démoc­ra­tique du Con­go et que mon nom de bap­tême, Faustin, pou­vait fig­ur­er sur mon passe­port. On m’avait donc men­ti ? Le même sen­ti­ment m’a saisi en 2001, après huit ans à l’extérieur du pays, lorsque je me suis instal­lé dans Kin­shasa en ruines, suite au con­flit né peu après le géno­cide rwandais ( 1994 ). Des ruines matérielles, mais aus­si dans l’esprit des gens. C’était là mon héritage : des décen­nies de men­songes et un tas de ruines par­mi lesquels je devais me retrou­ver un pays, un nom…»3

Ruine de la guerre, dans les rues et dans les têtes, ruines de la coloni­sa­tion, men­songes et manip­u­la­tions iden­ti­taires héritées des dic­tatures, c’est un paysage dévasté qui s’offre à la jeunesse africaine, un paysage où tout est à rebâtir. Dans ces con­di­tions, l’identité à recon­stru­ire ne peut qu’être une iden­tité faite de bric et de broc, une iden­tité mutante, une iden­tité hybride, une iden­tité qui n’a pas peur de la souil­lure. « Et si je suis dans un tas de ruines, tout ce sur quoi je tombe est bon à pren­dre pour me recon­stru­ire un abri : un rit­uel qui me vient de ma grand-mère, un poème de Rim­baud ou le sou­venir de mes cours de latin… Je ne me pose pas la ques­tion de savoir si c’est africain ou pas, « pur » ou pas, « ortho­doxe » ou pas. Avec tou­jours ce sen­ti­ment qu’il faut me méfi­er de tout ce que m’ont dit les Anciens. » 4

Détours et péré­gri­na­tions

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Faustin Linyekula
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Sylvie Chalaye
Spécialiste des théâtres d'Afrique et des diasporas, anthropologue des représentations coloniales et historienne des arts...Plus d'info
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