LE SILENCE DES COMMUNISTES, utopie et mélancolie

Théâtre
Critique

LE SILENCE DES COMMUNISTES, utopie et mélancolie

Le 23 Juil 2007
Luigi Lo Cascio, Maria Paiato et Fausto Russo Alesi dans IL SILENZIO DEI COMUNISTI de Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin, mise en scène Luca Ronconi, Piccolo Teatro, Milano, 2006. Photo Marcello Norberth.
Luigi Lo Cascio, Maria Paiato et Fausto Russo Alesi dans IL SILENZIO DEI COMUNISTI de Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin, mise en scène Luca Ronconi, Piccolo Teatro, Milano, 2006. Photo Marcello Norberth.
Luigi Lo Cascio, Maria Paiato et Fausto Russo Alesi dans IL SILENZIO DEI COMUNISTI de Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin, mise en scène Luca Ronconi, Piccolo Teatro, Milano, 2006. Photo Marcello Norberth.
Luigi Lo Cascio, Maria Paiato et Fausto Russo Alesi dans IL SILENZIO DEI COMUNISTI de Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin, mise en scène Luca Ronconi, Piccolo Teatro, Milano, 2006. Photo Marcello Norberth.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 93 - Ecrire le monde autrement
93

EN 2006, la pre­mière du spec­ta­cle de Luca Ron­coni, LE SILENCE DES COMMUNISTES, avait quelque chose de kan­to­rien… Au pre­mier rang, l’un à côté de l’autre, se retrou­vaient Vit­to­rio Foa, Miri­am Mafai et Alfre­do Reich­lin, de vieux amis qui, sur­pris par la dis­pari­tion des références au com­mu­nisme dans le débat d’idées, avaient engagé un échange de longues let­tres aus­si bien pour se rap­pel­er des com­bats anciens que pour avancer des réflex­ions sur le monde actuel. Et, en inter­ro­geant le « silence » qui s’est instau­ré autour du « com­mu­nisme », ils retra­cent ain­si les biogra­phies des mil­i­tants qu’ils ont été, obser­vent la mon­tée de « l’individualisme » dans les temps mod­ernes, for­mu­lent des hypothès­es… Ensem­ble, ils avaient écrit un roman épis­to­laire comme au XVI­I­Ie siè­cle, ani­més non pas par des pas­sions amoureuses mais d’autres, poli­tiques, et Luca Ron­coni eut l’intuition d’y décel­er une source de théâ­tral­ité car con­va­in­cu, comme jadis Antoine Vitez, que « l’on peut faire théâtre de tout ».

Les com­pars­es, aujourd’hui octogé­naires, n’ont pas oublié leur jeunesse et ils la por­tent avec eux comme jadis, chez Kan­tor, les per­son­nages de LA CLASSE MORTE évolu­aient sur le plateau en com­pag­nie de man­nequins, dou­bles de l’enfance jamais évanouie. Mais le soir de la pre­mière du spec­ta­cle de Ron­coni, c’est à tra­vers les acteurs qui inter­pré­taient leurs rôles que les trois mil­i­tants réu­nis revivaient la jeunesse dont leurs let­tres por­tent la trace indélé­bile. Ils ont appartenu au Par­ti com­mu­niste ital­ien qui par­tic­i­pa à la Résis­tance, s’engagea dans l’effort de recon­struc­tion de l’Italie – com­ment oubli­er que c’est un député com­mu­niste et un autre, démoc­rate chré­tien, qui ensem­ble ont signé l’acte de fon­da­tion du Pic­co­lo teatro de Milan ? – subit le choc des révéla­tions des crimes stal­in­iens et osa s’affronter aux dogmes imposés par Moscou. Le Par­ti com­mu­niste ital­ien occupe une place à part et béné­fi­cie d’un cap­i­tal de con­fi­ance unique pour le mou­ve­ment… C’est sur ce fond-là que nous enten­dons les let­tres des trois cama­rades qui veu­lent rompre le « silence ». Ils rap­pel­lent aus­si ces fig­ures rares des pre­miers com­mu­nistes fidèles qui ont par­ticipé à des com­bats liés à l’éducation et à l’amélioration de la vie des dému­nis, mil­i­tants qui ont su assumer la fidél­ité à l’égard des idéaux qui furent les leurs tout en iden­ti­fi­ant les erreurs de par­cours. Ron­coni donne à enten­dre ces voix qui, sur le seuil de la mort, posent des ques­tions et témoignent du sen­ti­ment de respon­s­abil­ité qui les habite encore. Non, ils ne sont ni assagis, ni con­ver­tis.

Ils n’ont pas trahi… Et moi, ayant quit­té un pays où tant de com­mu­nistes s’inventèrent un passé pour des raisons de car­rière, j’écoute cette saga de l’histoire ital­i­enne sans réti­cence aucune : son pou­voir de con­vic­tion est intact. Et à côté de moi, jeunes et vieux font état d’un même respect. Aucune envie d’instruire un procès ou de cor­riger les faits… Ces aveux imposent « le silence ». Aveux des hommes de la foi.

Si les let­tres par­lent des idéaux com­mu­nau­taires, col­lec­tifs, le spec­ta­cle met en scène leur sens pro­fond qui a à voir avec le désir de sur­mon­ter la soli­tude actuelle. Et cha­cun des auteurs dit sa let­tre dans un espace quo­ti­di­en, par­mi des livres et des objets, cham­bre, laver­ie, mais les portes restent tou­jours ouvertes… Voilà le signe théâ­tral de l’adresse pro­pre à toute let­tre. Elle cherche un parte­naire ; je me sou­viens d’Artaud qui s’excusait auprès de Jean Paul­han de lui envoy­er son arti­cle sous la forme d’une let­tre en rai­son, dis­ait-il, du besoin d’avoir un inter­locu­teur. Ici aus­si, on par­le pour soi et en même temps en direc­tion de l’autre, que l’on cherche au nom des sol­i­dar­ités d’antan. La let­tre con­cerne le monde, l’Histoire, certes, mais aus­si l’esseulement que cha­cun souhaite sur­mon­ter.

Tout érige le com­merce des let­tres du SILENCE DES COMMUNISTES en expéri­ence per­son­nelle nour­rie des vieux pro­jets et des ques­tion­nements actuels. Ron­coni ne joue pas de la simul­tanéité des espaces mais, solu­tion épique éton­nante, de leur suc­ces­sion. Chaque espace occupe entière­ment le plateau pour, ensuite, le quit­ter grâce à un mécan­isme lourd qui le pousse sur les rails en couliss­es. Il n’y a pas divi­sion ou coex­is­tence des paroles, il n’y a que soli­tude et mono­logue… Grâce à cela, LE SILENCE DES COMMUNISTES relie, avec une émo­tion intense, les deux ver­sants habituelle­ment écartelés de l’intellectuel européen, utopie et mélan­col­ie. Ils n’en font qu’un ici. L’utopie ne les a pas quit­tés, mais elle se col­ore du clair-obscur de la mélan­col­ie. En regar­dant sur le plateau ces acteurs en pleine force de l’âge, nous pen­sons imman­quable­ment aux trois vieil­lards assis au pre­mier rang le soir de la pre­mière. Ron­coni per­turbe les âges, isole les per­son­nages, ouvre les portes pour dire à quel point ces let­tres de réflex­ions sur le Par­ti et le monde sont imprégnées d’expérience biographique, de nos­tal­gie et de regrets. Ain­si pour Vit­to­rio, Miri­am et Alfre­do, le nous de leur jeunesse éloignée se place sous le sceau d’un je qui ne recule ni ne capit­ule guère, au nom juste­ment des idéaux respon­s­ables dont aucun d’eux n’entend se dépar­tir. L’utopie et la mélan­col­ie se trou­vent réu­nies ici.

Luigi Lo Cascio dans IL SILENZIO DEI COMUNISTI de Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin, mise en scène Luca Ronconi, Piccolo Teatro, Milano, 2006. Photo Marcello Norberth.
Lui­gi Lo Cas­cio dans IL SILENZIO DEI COMUNISTI de Vit­to­rio Foa, Miri­am Mafai et Alfre­do Reich­lin, mise en scène Luca Ron­coni, Pic­co­lo Teatro, Milano, 2006. Pho­to Mar­cel­lo Nor­berth.

LE SILENCE DES COMMUNISTES, dans la tra­duc­tion de Jean-Pierre Vin­cent, est paru aux Édi­tions de l’Arche, avril 2007

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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