Éloge de l’hybridité

Entretien
Théâtre

Éloge de l’hybridité

Entretien avec Nedjma Hadj Benchelabi

Le 22 Juil 2022
Portrait de Nedjma Hadj Benchelabi au Festival international de la danse contemporaine «On Marche» de Marrakech, 2017. Photo Maha Moudine.
Portrait de Nedjma Hadj Benchelabi au Festival international de la danse contemporaine «On Marche» de Marrakech, 2017. Photo Maha Moudine.

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Portrait de Nedjma Hadj Benchelabi au Festival international de la danse contemporaine «On Marche» de Marrakech, 2017. Photo Maha Moudine.
Portrait de Nedjma Hadj Benchelabi au Festival international de la danse contemporaine «On Marche» de Marrakech, 2017. Photo Maha Moudine.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 147 - Scènes contemporaines des mondes arabes
147

Com­ment glisse-t-on des études d’architecture à la pro­gram­ma­tion artis­tique de fes­ti­vals ?

Durant mes études d’architecture et d’urbanisme à Alger, j’ai tou­jours été guidée par un regard sur la société, les liens qui s’y créent. J’observais com­ment se négo­cient les « pou­voirs », com­ment les con­flits per­durent et com­ment ils sont à même de sépar­er les groupes soci­aux et d’en créer des nou­veaux. L’architecture est une dis­ci­pline artis­tique très ouverte. De nom­breux cours et enseigne­ments sont con­nec­tés avec la vie, la poésie : le mou­ve­ment des gens dans le bâti, les rap­ports entre espace pub­lic et espace privé. La pour­suite de mes études pour un troisième cycle à l’Université de Lou­vain (K.U.L./Leuven) m’a con­fron­tée à un milieu inter­na­tion­al très moti­vant, des gens venant d’horizons très dif­férents, por­teurs d’autres réc­its et d’autres con­flits. J’ai dépassé ma petite his­toire (d’une vie dans un État avec 30 ans de par­ti unique, son régime mil­i­taire et sa lente évo­lu­tion vers la démoc­ra­tie) et ouvert mon esprit à d’autres per­spec­tives, d’autres asso­ci­a­tions envers les effets du colo­nial­isme. Je pense que cela m’a forte­ment stim­ulée et con­solidée dans une activ­ité d’écriture. Et c’est à ce moment de grande curiosité envers les autres que j’ai ren­con­tré la com­pag­nie de théâtre Dito Dito (1) et ses ate­liers. Dito Dito, c’est plus qu’une com­pag­nie, c’est un lieu d’échange per­ma­nent, sans hiérar­chie. J’écrivais des textes autour des ques­tions poli­tiques qui se posaient à Alger, Brux­elles et en Bel­gique. Il s’agissait de con­tribuer à trans­former la ville, de la ren­dre plus viv­able, plus juste, à par­tir d’une expéri­ence artis­tique. Nous étions guidés davan­tage par une défense de l’hybridité que par celle du mul­ti­cul­tur­al­isme.

Quelle dif­férence fais-tu entre ces deux con­cepts ?

La mul­ti­cul­tur­al­ité con­sid­ère chaque com­mu­nauté avec sa cul­ture pro­pre et vise à faire accepter les dif­férences, la diver­sité.

L’hybridité est une notion plus ouverte : chaque per­son­ne peut pos­séder et vivre plusieurs cul­tures et en partager les valeurs. La plu­part des gens, surtout dans les villes, par­ticipent de plusieurs univers cul­turels.

Notre expéri­ence à Dito Dito n’était pas unique­ment de don­ner voix à ceux qui ne l’ont pas dans les arts de la scène, mais de se sen­tir autant con­cernés par la ques­tion de la fron­tière lin­guis­tique à Brux­elles, ensem­ble. En vivant à Brux­elles, on est par­tie prenante de ces enjeux et on peut y apporter un autre regard ! Cela nous per­me­t­tait d’éviter un pater­nal­isme ambiant, et un par­rainage bien inten­tion­né et toute­fois nuis­i­ble…

Tu as la sin­gu­lar­ité de vivre à Brux­elles et de pass­er de longs mois en Afrique du Nord et au Moyen-Ori­ent pour ton activ­ité de cura­trice et de pro­gram­ma­trice… 

Même si le tra­vail artis­tique néces­site de la soli­tude, j’aime être dans une « con­ver­sa­tion » de tra­vail et rester à l’écoute de ce qui se tisse.

Mon tra­vail se développe tou­jours à par­tir d’une per­spec­tive dou­ble. J’ai un ancrage à Brux­elles, j’aime tra­vailler à par­tir de cette ville que j’aime et en même temps rester en lien avec ma mémoire, mon his­toire pour les ques­tion­ner avec les autres. Il ne s’agit pas de nos­tal­gie mais, au con­traire, de décel­er les dynamiques con­tem­po­raines émergeantes dans le monde arabe et qui sont impor­tantes à inscrire dans la grande his­toire des lan­gages artis­tiques con­tem­po­rains. En pre­mier lieu, ce sont des ren­con­tres humaines. Les artistes avec lesquels je tra­vaille, je les appelle mes « alliés de sens ». Dans ces villes que je pra­tique, Mar­rakech, Le Caire… les moyens de créa­tion sont faibles, qua­si inex­is­tants pour les expéri­ences artis­tiques nou­velles. Cette con­fi­ance réciproque qui s’installe nous per­met d’arriver à dévelop­per des pro­jets ici et là-bas. Venus de dif­férents hori­zons, nous défendons une con­tem­po­ranéité de la per­for­mance, une lib­erté et une cul­ture acces­si­ble à tous. Des artistes comme Taoufiq Ized­diou, Meryem Jazouli, Ali Chahrour… Par­fois je les con­necte, par­fois je suis mem­bre de l’équipe de créa­tion à part entière, et par­fois je reste en retrait et en sou­tien à dis­tance, d’une manière de pro­téger leurs par­cours et soli­tudes. C’est vrai­ment ma pas­sion : être à l’écoute, créer du lien. C’est un tra­vail de dra­maturge de décel­er ces liens et les traduire en pro­jets. Sou­vent, ces choré­graphes sont aus­si des directeurs de fes­ti­val, car si on ne crée pas les scènes, il n’y a pra­tique­ment pas de cadre pour la danse et donc pas d’occasions de ren­con­tr­er les publics !

Qu’est-ce qui te guide dans ce tra­vail de con­seil et de « dra­maturge » ?

L’engagement d’une recherche de l’expression de la con­tem­po­ranéité, en dehors d’une déf­i­ni­tion euro­cen­triste. Il s’agit de « con­t­a­min­er » la grande his­toire et cette déf­i­ni­tion euro­cen­triste par des lan­gages con­tem­po­rains qui vien­nent du monde arabe. La dynamique artis­tique con­tem­po­raine est bien là, dans cette hybrid­ité. Mon action, ma « bataille » con­siste à la ren­dre vis­i­ble sur nos scènes, à Brux­elles, au Caire et à Mar­rakech. Ce sont les villes qui m’ont per­mis ces alliances et com­plic­ités artis­tiques.

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Nedjma Hadj Benchelabi
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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